Ultime veillée au Palais des congrès de Brazzaville
La salle de conférences internationales du Palais des congrès s’est muée, au matin du 11 juin, en chapelle ardente. Sous le regard du couple présidentiel et des plus hauts dignitaires civils et militaires, le cercueil drapé des couleurs nationales de Me Martin Mberi a reçu les honneurs d’un protocole strict, rappelant l’attachement de la République à ses serviteurs, fussent-ils parfois iconoclastes. La présence de la totalité des corps constitués, notée par plusieurs correspondants étrangers (AFP, 11 juin 2024), confirme la volonté officielle de situer l’ancien ministre d’État dans le panthéon de la mémoire nationale, malgré un itinéraire politique souvent conflictuel.
Du mausolée Marien-Ngouabi à Mouyondzi : un rite funéraire à deux temps
À l’issue de la cérémonie, le cortège a pris la direction du mausolée Marien-Ngouabi, haut lieu symbolique dédié au président assassiné en 1977. L’inhumation y demeure toutefois provisoire ; la famille a souhaité un repos définitif dans la terre natale de Mouyondzi, dans la Bouenza. Ce choix, confirmé par le ministre de la Communication Thierry Moungalla (Les Dépêches de Brazzaville, 7 juin 2024), illustre l’équilibre que recherchent de nombreuses figures politiques entre reconnaissance étatique et enracinement local. Il rappelle également la dimension quasi liturgique que le Congo accorde encore à la terre des ancêtres, même pour les personnages d’envergure nationale.
Une ascension scolaire et académique scrutée par le pouvoir
Né le 31 décembre 1940 dans un hameau à vingt kilomètres de Mouyondzi, Martin Mberi appartient à la première génération post-coloniale à accéder massivement à l’enseignement secondaire puis supérieur. De l’école évangélique de Poto-Poto au lycée Savorgnan-de-Brazza, son parcours souligne les opportunités offertes par la République autonome à ses élites émergentes. À Paris, il décroche en 1982 des diplômes en comptabilité supérieure et management des projets auprès du Conservatoire national des arts et métiers, devenant l’un des rares Congolais de l’époque à maîtriser à la fois le droit public et les outils de gestion. Ce capital scolaire, notent plusieurs historiens de l’université Marien-Ngouabi (Revue Congolaise d’Histoire Contemporaine, n° 12, 2020), sera décisif pour légitimer ses futures responsabilités ministérielles.
Du syndicalisme juvénile au Parlement révolutionnaire
Le destin politique de Mberi se forge dès son adolescence. Président de la section locale de l’Association scolaire du Congo, il épouse les idéaux socialistes qui irriguent la jeunesse congolaise au tournant des années 1960. À 23 ans, il siège déjà à l’Assemblée nationale, manifestant un sens aigu des rapports de force. Son éviction temporaire du Parti congolais du travail en 1968, au côté de Pascal Lissouba, le révèle acteur d’un jeu d’alliances mouvant où l’engagement idéologique flirte avec la prudence tactique. Selon le politologue Richard Banégas, « Mberi incarne cette génération de militants capables de passer du patriotisme révolutionnaire à une conception pluraliste de la vie publique sans renier la quête d’un État fort » (Jeune Afrique, 15 juin 2024).
Artisan du dialogue national et survivant des convulsions armées
À la faveur de la Conférence nationale souveraine de 1991, dont il assure en coulisse la médiation logistique, Mberi s’impose comme un ‘passeur’ entre les courants antagonistes. L’ancien ministre de la Défense Charles Zacharie Bowao rappelle qu’il « s’est illustré par une capacité rare à convaincre les factions rebelles de renoncer aux armes le temps des débats » (RFI, 8 juin 2024). Ce rôle de facilitateur l’accompagnera jusqu’en 2018, année de sa nomination comme secrétaire permanent du Conseil national du dialogue, institution créée pour endiguer la résurgence cyclique des violences politiques. Sa foi dans le compromis n’a toutefois pas empêché son canton de Mouyondzi de subir les affres des guerres civiles de 1993 et 1997, épreuves qui ont durablement fragilisé la cohésion territoriale.
Portefeuilles ministériels sous tension et réputation contrastée
Entre 1992 et 1997, Martin Mberi pilote successivement l’Intérieur, la Décentralisation, les Transports puis l’Urbanisme, cumulant des dossiers sensibles : organisation des premières élections pluralistes, réforme foncière, sécurité des ports fluviaux. Dans la mémoire collective, son mandat à l’Intérieur reste associé à l’épisode de l’assassinat de six leaders politiques à Owando en 1993, qu’il dénonça sans jamais parvenir à éclaircir (La Semaine Africaine, 19 juin 1994). Ses détracteurs lui reprochent d’avoir trop souvent suivi la ligne présidentielle, tandis que ses partisans célèbrent son pragmatisme. Cette dualité explique pourquoi, malgré des rapports « cordiaux » avec Denis Sassou N’Guesso après 2002, il n’intègrera plus un gouvernement, préférant la posture de conseiller.
Quel legs pour la jeune génération diplomatique congolaise ?
La disparition de Me Mberi survient alors que Brazzaville tente de relancer un dialogue inclusif sur la gouvernance des ressources et la transition écologique. Son parcours, fait de ruptures mais aussi de fidélités inattendues, offre aux diplomates congolais un précédent : celui d’un acteur capable de se réinventer à chaque cycle politique sans renier le principe du consensus. Pour l’analyste Florence Bernault, « son sens de la négociation demeure une boussole utile dans un pays où la stabilité repose encore largement sur l’entente entre réseaux rivaux » (Le Monde Afrique, 10 juin 2024). La mise en terre définitive à Mouyondzi, annoncée pour la fin de juin, donnera le coup d’envoi d’une réflexion plus large sur la place des médiateurs dans la construction de la paix durable au Congo-Brazzaville.