Des totems jaunes au cœur de la cité
Au rond-point Chamoukoualé, deux bornes jaunes intriguent depuis quelques mois les habitants de Mossendjo, dans le département du Niari. Posées en pleine rue, elles ressemblent à d’imposants distributeurs automatiques mais délivrent une ressource simple : de l’énergie pour téléphones.
Le dispositif, conçu par l’opérateur MTN, fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre grâce à un groupe électrogène logé à proximité. Chaque borne accueille plusieurs rangées de prises sécurisées, pouvant charger jusqu’à quarante-cinq appareils simultanément sans contrepartie financière.
Visible jour et nuit, la lumière verte des écrans crépite au rythme des conversations. Parents, agriculteurs, commerçants ou élèves font la queue, chargeurs à la main, dans un ballet où l’urgence de rester connecté traduit des besoins sociaux élémentaires.
Un service vital dans un contexte énergétique fragile
Mossendjo dispose toujours d’un réseau électrique installé par la Société nationale d’électricité, mais le courant n’y circule plus régulièrement depuis plusieurs années, conséquence d’avaries techniques et d’une demande locale supérieure aux capacités actuelles de production.
Devant cette fragilité, nombre de familles recourent aux groupes électrogènes privés ou aux panneaux solaires pour alimenter un frigo, un point lumineux ou une radio. Cependant, la facture en carburant ou l’investissement initial reste prohibitif pour les budgets les plus modestes.
Dans ce contexte, la solution proposée par MTN est perçue comme un bien public substitutif : elle pallie temporairement la rareté de l’électricité domestique tout en maintenant l’accès au réseau téléphonique, essentiel pour les échanges commerciaux et les services mobiles d’argent.
Sociabilité et nouveaux rites urbains
Autour des bornes, la file d’attente se transforme en agora informelle. On y commente l’actualité nationale, les performances des Diables rouges ou les dernières rumeurs venues de Pointe-Noire, tandis que les plus jeunes partagent astuces de jeux vidéos et de messagerie.
Les sociologues parlent d’« espace public fragile », ces lieux où la pénurie crée paradoxalement de la cohésion. L’attente commune devant la borne favorise la circulation de l’information et renforce l’entraide, un capital social précieux dans une ville tournée vers l’agriculture de subsistance.
« Je viens pour charger, mais aussi pour échanger des nouvelles », confie Mireille, enseignante, soulignant la dimension relationnelle du dispositif. Cette sociabilité non planifiée atténue le sentiment d’isolement souvent lié à l’absence d’éclairage public après la tombée de la nuit.
Un modèle économique gagnant-gagnant
Pour MTN, fournir l’électricité gratuitement n’est pas une opération philanthropique isolée. L’initiative soutient la fidélisation de la clientèle dans une zone où la concurrence du marché mobile reste vive, tout en projetant l’image d’une entreprise proche des réalités quotidiennes.
Le temps passé à la borne devient une occasion de tester des offres, acheter des forfaits ou utiliser les services de transfert d’argent mobile. La marque capitalise donc sur une présence physique continue, difficile à obtenir avec les seuls stands promotionnels traditionnels.
Dans un environnement économique où la population mise sur le petit commerce et l’extraction artisanale de gravier au lac Bleu, l’accès à la connectivité demeure un facteur de compétitivité. Faciliter la recharge renforce ainsi l’écosystème local des micro-entrepreneurs.
Perspectives d’aménagements urbains souhaités
Plusieurs usagers suggèrent l’installation d’un abri sur le site, avec quelques bancs. L’idée, relayée par le conseil municipal, offrirait un confort accru et protégerait les téléphones comme les personnes contre les pluies abondantes de la région forestière.
Un tel aménagement renforcerait également la dimension conviviale de l’espace, le transformant en halte lumineuse pour les piétons nocturnes. La coordination entre opérateurs privés et autorités locales pourrait ainsi produire un mobilier urbain hybride, au service du bien-être collectif.
Les habitants espèrent également une extension du système vers les quartiers périphériques. Un déploiement progressif, associant d’autres sources d’énergie comme le solaire, limiterait la dépendance au carburant et ouvrirait la voie à une autonomie énergétique durable.
La problématique structurelle de l’électrification
La situation de Mossendjo n’est pas isolée. Selon le ministère de l’Énergie, près de 45 % des ménages en zone rurale n’ont pas encore accès au réseau national bien que des progrès constants aient été réalisés dans le corridor Pointe-Noire – Ouesso ces dernières années.
Le Programme national d’électrification, élaboré avec l’appui de partenaires internationaux, cible la modernisation des centrales existantes et la construction de micro-barrages. Le gouvernement encourage aussi les mini-réseaux privés sous régulation, afin de réduire les disparités territoriales.
Des villages pilotes dans les Plateaux profitent déjà de ces schémas mixtes. Leur retour d’expérience devra guider l’extension du service public vers le sud-ouest, où niariens et kouilous attendent un renforcement des infrastructures pour soutenir la transformation locale des produits agricoles.
Feuille de route nationale et initiatives locales
À Brazzaville, la Direction générale de l’électricité affirme que la réhabilitation du poste de Loudima renforcera l’approvisionnement du Niari d’ici 2025. Elle compte sur l’interconnexion avec le barrage de Chollet, projet binationale, pour sécuriser davantage le réseau.
En attendant, la multiplication d’actions ponctuelles, qu’elles proviennent d’entreprises telecoms, d’ONG ou de comités de quartier, témoigne d’une capacité d’innovation sociale dont Mossendjo offre un exemple emblématique. Elle montre qu’un déficit infrastructurel peut susciter des réponses créatives et inclusives.
« Ces bornes traduisent l’alliance entre service public et initiative privée », analyse le politologue Jérémie Moussavou. Il estime que la réussite de pareilles micro-solutions dépendra de leur articulation avec la stratégie nationale, afin d’éviter une fragmentation des réseaux.