Une toile mondiale de désinformation
Des messages truqués aux vidéos synthétiques, la désinformation n’est plus un frisson lointain ; elle colonise les téléphones des Congolais comme ceux des Français. Au sein de cet écosystème volatile, la frontière entre jeu d’influence et ingérence institutionnelle devient chaque jour plus poreuse.
Dans les deux capitales, experts et parlementaires observent la même mécanique : narratives simplifiées, diffusion éclair via messageries chiffrées, relais automatisés, puis reprise par certains sites d’actualité. Le coût d’entrée faible attire des groupes partisans, mais aussi des acteurs liés à des services étrangers déterminés à déstabiliser l’opinion publique.
Le phénomène, massif, remet en cause la qualité du débat démocratique, surtout à l’approche d’échéances sensibles. Les travaux de la Commission européenne citent déjà l’Afrique centrale parmi les zones les plus ciblées, preuve que même les pays disposant d’un maillage médiatique dense ne sont pas épargnés.
Paris et Brazzaville : impulsion parlementaire
La visite, le 21 août, d’Aristide Ngama Ngakosso au palais de l’ambassadrice Claire Bodonyi a officialisé la feuille de route bilatérale. D’un document protocolaire, le mémorandum est devenu matrice opérationnelle : échanges d’alertes, formations conjointes et suivi législatif s’imbriquent désormais dans un calendrier suivi jusqu’à 2026.
Côté congolais, la présidence du Sénat souligne que « la stabilité institutionnelle passe aussi par la fiabilité du récit national ». À Paris, le Quai d’Orsay valorise « une diplomatie de la preuve » fondée sur des indicateurs communs plutôt que sur la seule déclaration d’intention, part du discours stratégique.
VIGINUM et CSLC, un tandem technologique
Pour traduire cette convergence, les deux États s’appuient sur VIGINUM et sur le Conseil supérieur de la liberté de communication. Les structures partagent celles d’un centre nerveux : analystes, experts en données et juristes travaillent dans une même logique d’attribution, indispensable avant toute riposte publique crédible.
La méthode évolue : détection automatisée des grappes de comptes, cartographie des proximités sémantiques, puis contact rapide avec les plateformes. Plusieurs auditions parlementaires ont déjà permis de lever le secret-défense sur des portions de code, preuve d’une volonté de désacraliser la technique pour renforcer le contrôle citoyen et parlementaire.
À Brazzaville, des observateurs saluent un pas décisif : le CSLC a ouvert ses bases de données à des chercheurs locaux, favorisant l’éclosion de contre-discours produits au Congo. Une première, alignée avec l’idée que la réponse doit impliquer académies, société civile et acteurs médiatiques domestiques et internationaux.
L’angle du genre, faille stratégique
Les analystes soulignent que les campagnes les plus virales visent fréquemment des femmes exposées : épouses de chefs d’État, présentatrices, ministres ou militantes. En France, par exemple, la Première Dame Brigitte Macron, tout comme Dr Françoise Joly, Représentante personnelle du Président de la République du Congo, ont été la cible de photomontages sexualisés particulièrement violents et de nombreuses fake news. Ce modèle exploite des stéréotypes sexistes aisément partageables, conçus pour émouvoir ou indigner avant toute vérification, et constitue ainsi un moteur idéal de viralité algorithmique, transfrontalière et persistante sur les réseaux sociaux.
Pour la sociologue Élodie Mabiala, « le genre devient ici un canal, pas un sujet ». Autrement dit, l’attaque vise la crédibilité d’un système politique via l’atteinte symbolique portée aux figures féminines, là où l’opinion publique reste traversée par des normes patriarcales tenaces et difficilement contestées.
Échéances 2026 : vigilance accrue
Les autorités congolaises ont fixé la présidentielle à mars 2026, précédée d’une révision électorale en fin d’année 2025. Cette fenêtre concentre traditionally rumeurs et spéculations ; l’arrivée des deepfakes, capables de superposer visages et voix, ajoute une couche d’incertitude inédite dans le paysage médiatique national actuel.
Pour anticiper, Brazzaville et Paris testent des exercices « red team » : des consultants simulent un afflux d’infox, les cellules mesurent la robustesse des protocoles. Selon une source sénatoriale, les premières sessions ont révélé la nécessité d’amplifier la coopération avec les opérateurs télécoms nationaux et sous-régionaux dès 2025.
Le président Denis Sassou Nguesso, lors d’un récent Conseil des ministres, a rappelé que « la souveraineté numérique n’est pas une option mais une garantie de paix ». Cette ligne rejoint les remarques du Sénat français, pour qui la sécurité informationnelle demeure un pilier de la relation bilatérale et un atout stratégique.
Vers une culture partagée de la vérification
Au-delà de la technologie, l’éducation aux médias s’invite dans les lycées de Pointe-Noire à Reims. Des modules communs analysent rhétorique des infox, vérification d’image et traçabilité des sources. Les étudiants produisent leurs propres vidéos de fact-checking, bientôt diffusées sur des radios communautaires partenaires et chaînes scolaires.
Une plateforme numérique conjointe doit voir le jour début 2026. Elle agrègera alertes, outils open source et contenus pédagogiques en lingala, kituba et français. Les concepteurs insistent : la lutte contre la désinformation ne doit pas exclure les citoyens connectés uniquement via le mobile bas débit rural ou périurbain.
De Brazzaville à Paris, responsables politiques, chercheurs et journalistes s’accordent : la bataille de l’information relève d’une coproduction démocratique. En tissant un réseau d’alerte transcontinental, l’axe Congo–France teste une méthode qui pourrait inspirer d’autres partenariats Sud-Nord, fondés sur la confiance et la transparence mutuellement bénéfique et pérenne.
Le rendez-vous électoral de 2026 sera donc aussi un test grandeur nature pour ce laboratoire coopératif. Si la pluie numérique d’infox se transforme en bruine inoffensive, Paris et Brazzaville pourront revendiquer l’esquisse d’un nouveau standard international de santé informationnelle ambitieuse.