Nouvel axe Rome-Brazzaville
Dans les salons feutrés du ministère congolais des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, les drapeaux italien et congolais reflétaient une convergence d’intérêts rarement observée dans la sphère numérique africaine. Au-delà des symboles, l’entretien du 22 juillet entre le ministre Léon Juste Ibombo et l’ambassadeur Enrico Nunziata a confirmé la volonté italienne d’ancrer durablement sa coopération à Brazzaville. « Nous voulons bâtir une route digitale transcontinentale », a résumé le diplomate transalpin, faisant écho aux ambitions d’un Congo désireux de franchir un cap stratégique dans la transformation de son économie.
Le mémorandum d’entente paraphé le 16 juin apparaît déjà comme la clef de voûte d’un dispositif bilatéral qui associe expertise technique, financements structurants et accompagnement institutionnel. La présence de la représentante résidente du Programme des Nations unies pour le développement, Adama Dian Barry, témoigne d’une approche collégiale où se mêlent diplomatie économique et gouvernance du développement. Pour Brazzaville, l’enjeu ne se limite plus à connecter les territoires ; il s’agit désormais d’installer le numérique au cœur de la valeur ajoutée nationale.
Le plan Mattei, entre ambition et réalités congolaises
Conçu à Rome comme un instrument renouvelé de la politique africaine de l’Italie, le plan Mattei revendique l’objectif de soutenir jusqu’à 500 000 startups sur le continent. Que le Congo figure parmi les pays pilotes n’est pas anodin : la stabilité institutionnelle du pays, jointe à une politique volontariste en matière de connectivité, offre un laboratoire grandeur nature pour tester la diplomatie économique italienne. Les premières enveloppes, estimées à plusieurs dizaines de millions d’euros, seront fléchées vers des initiatives capables de produire des externalités positives rapides dans la santé, l’agriculture ou la logistique.
Pourtant, l’ambition s’accompagne d’exigences pragmatiques. Les infrastructures de base – couverture fibre, data centers, backbone régional – devront suivre le rythme des innovations logicielles. Le cabinet international que le PNUD recrutera avant la fin du mois aura pour mission d’élaborer une feuille de route réaliste, articulant objectifs macroéconomiques et indicateurs sociaux. En filigrane, l’Italie souhaite démontrer qu’un cadre réglementaire clair et une gouvernance transparente constituent des atouts déterminants pour attirer des capitaux privés additionnels.
L’intelligence artificielle comme levier sociétal
Le volet intelligence artificielle du protocole occupe une place singulière. Brazzaville dispose déjà, avec le Centre africain de recherche en intelligence artificielle, d’une plateforme académique reconnue par l’Union africaine. L’appui italien vise à transformer ce centre en hub de recherche-action capable de produire des algorithmes adaptés aux réalités locales, qu’il s’agisse d’optimiser les chaînes de valeur agricoles ou de fluidifier la gestion hospitalière. « Nous ne voulons pas importer des solutions, nous voulons co-produire de la connaissance », insiste un conseiller scientifique italien, soulignant l’importance de la contextualisation culturelle des jeux de données.
Le ministre Ibombo, pour sa part, voit dans l’IA un vecteur d’efficience administrative. La digitalisation des services publics, déjà amorcée avec le portail e-citoyen, pourrait bénéficier d’outils prédictifs pour anticiper la demande sociale et réduire les frictions bureaucratiques. À court terme, l’objectif est d’élaborer un cadre éthique conforme aux standards internationaux, tout en préservant la souveraineté des données nationales – un exercice d’équilibriste particulièrement scruté par les partenaires multilatéraux.
Startups et jeunesse : un pari sur le capital humain
La promesse d’accompagner l’éclosion d’un tissu de startups congolaises repose sur un constat démographique inéluctable : plus de 60 % de la population a moins de 25 ans. Le plan Mattei mobilisera des dispositifs de mentorat, des espaces de coworking et des lignes de crédit à taux préférentiels. L’idée est de capter l’énergie créative de la jeunesse urbaine de Pointe-Noire à Ouesso, afin de convertir l’ingéniosité locale en produits et services exportables. Des campus d’été, cofinancés par le secteur privé italien, devraient réunir dès l’an prochain plusieurs centaines d’étudiants autour de défis d’innovation frugale.
Cette stratégie, saluée par le PNUD, mise sur l’effet d’entraînement que peuvent générer quelques réussites emblématiques. Les mouvements de capital-risque observés à Lagos ou Nairobi inspirent Brazzaville ; la diplomatie économique entend catalyser un écosystème où investisseurs, universités et administrations dialoguent sans hiatus. Le gouvernement congolais, soucieux d’éviter une fuite des talents, envisage la création d’un statut de l’entrepreneur numérique assorti d’incitations fiscales progressives.
Gouvernance numérique et attractivité économique
Au-delà de la seule technique, se joue une bataille pour la confiance. La convergence réglementaire entre le cadre européen et la législation congolaise sur la protection des données personnelles incarne une volonté de sécuriser l’investissement et de protéger le citoyen. Brazzaville planche ainsi sur une autorité indépendante de la cybersécurité, inspirée du modèle italien, afin de rassurer partenaires publics et opérateurs privés.
Cette gouvernance renouvelée se traduit déjà par une hausse de l’attractivité du marché national. Selon des chiffres provisoires de la Banque des États de l’Afrique centrale, le flux d’IDE dans les télécommunications a progressé de 18 % sur les six premiers mois de l’année, stimulé par l’annonce du programme italo-congolais. La Banque mondiale observe, de son côté, que chaque point de pénétration internet supplémentaire pourrait, dans le contexte congolais, ajouter 0,5 point de croissance au PIB. L’effet multiplicateur escompté épouse donc une rationalité macroéconomique autant qu’un impératif social.
Des perspectives régionales pour le Congo
L’arrimage à l’Italie s’inscrit dans une dynamique régionale plus vaste où la Communauté économique des États de l’Afrique centrale ambitionne de mutualiser les plateformes de paiement et de partage de données. En devenant pays pilote, le Congo se positionne comme nœud d’interconnexion entre l’Atlantique et l’hinterland centre-africain. Les corridors logistiques que l’intelligence artificielle rendra plus efficients pourront, à terme, réduire sensiblement les coûts de transaction intra-africains.
À Brazzaville, la perspective d’accueillir en 2025 un sommet Afrique-Italie consacré au numérique est déjà évoquée. Elle offrirait au Congo l’opportunité de valoriser ses premiers succès et de mobiliser des coalitions d’investisseurs. Entre ambitions affichées et rendez-vous à tenir, le pari est exigeant ; il n’en constitue pas moins une fenêtre historique pour inscrire durablement le pays dans le concert des nations digitales.