Brazzaville célèbre son histoire
Brazzaville a vibré, le 5 décembre, au rythme d’une cérémonie littéraire qui rassemblait universitaires, responsables politiques et passionnés d’histoire. Dans la salle, l’ouvrage « Jacques L. Opangault 1907-1978 : De la colonie à la République, l’action politique » était plus qu’un livre : un signal.
Le professeur-chercheur Élie Mavoungou, disparu en 2024, en signe l’analyse, tandis qu’Émile Opangault, fils du tribun, porte aujourd’hui la flamme d’un projet né d’une promesse savante, celle de redonner toute sa place à une figure majeure du Congo-Brazzaville.
Un lancement entre émotion et rigueur
Dès l’ouverture, Émile Opangault replonge l’assistance dans le moment fondateur : le colloque annoncé sur Félix Tchicaya, avorté faute de moyens, d’où surgit la proposition d’Élie Mavoungou : « écrire quelque chose sur votre père ». Une rencontre à distance qui devint collaboration.
Les archives ressortent des malles familiales, les entretiens s’enchaînent, la pression monte ; Élie Mavoungou, établi en Allemagne, sent l’urgence. Atteint d’un cancer, il avance contre le temps, déterminé à livrer un manuscrit complet avant que la maladie ne l’emporte.
Le coup de fil de juin 2024 annonce la disparition du chercheur. Dans la salle, une minute de silence rappelle cet instant. « Il voulait vite finir le travail pour le laisser à la postérité », souffle Émile, rappelant qu’écrire constitue toujours un acte de souveraineté culturelle.
La biographie comme instrument politique
Prenant le relais, le Pr François Miyouna présente la structure du livre sans la dévoiler entièrement, manière d’entretenir l’appétit du public. Il souligne la densité documentaire, issue de correspondances, archives administratives et témoignages, qui replace chaque choix de l’homme politique dans son contexte national.
Jacques Opangault y apparaît non pas comme une icône figée, mais comme un artisan du compromis : chef de parti ferme sur les principes, capable pourtant de réduire son propre salaire pour préserver les équilibres budgétaires. Patriotisme, probité, sens de l’État, tels sont les fils rouges relevés.
Pour Miyouna, la leçon tient dans l’actualité de ces vertus. Il martèle que l’intérêt général doit primer sur l’avantage particulier, une maxime qui traverse la trajectoire d’Opangault et, par ricochet, questionne le présent de la République du Congo sans verser dans la nostalgie.
La salle se saisit du témoin
L’échange s’ouvre et la parole circule. Le Pr Grégoire Lefouoba salue la « force de la restitution historique », tandis que le cinéaste Hassim Tall Boukambou repère dans le récit un matériel fertile pour l’écran, persuadé que les jeunes générations se reconnaîtront dans ce parcours de droiture.
Jean-Pierre Heyko Lekoba, à la fois politique et écrivain, insiste sur la fonction d’exemple : « Les pages de ce livre offrent un repère, un garde-fou contre l’amnésie ». Josué Ndamba, lecteur attentif, en retient trois piliers : lutte nationale, intégrité morale, courage politique.
Dans un coin de la salle, le ministre de la Défense Charles Richard Mondjo écoute discrètement. Sa présence témoigne de l’importance accordée par les autorités à la valorisation du patrimoine mémoriel et à la transmission d’une histoire politique qui nourrit la cohésion nationale.
Écrire pour consolider la nation
En clôture, Émile Opangault rappelle que le Congo-Brazzaville, soixante-quatre ans après l’indépendance, reste « une nation en construction ». Selon lui, la littérature historique constitue un chantier civique, appelé à se poursuivre afin qu’aucun pan de la mémoire collective ne s’érode.
Le livre de Mavoungou devient ainsi une pierre supplémentaire dans l’édifice. Chaque page invite à relier passé et présent plutôt qu’à dresser des bilans figés. L’exercice critique se veut respectueux, ancré dans les sources, tourné vers la jeunesse qu’il encourage à la recherche.
Cette soirée brazzavilloise aura donc mêlé érudition et émotion, rappelant que l’histoire nationale ne se limite pas aux archives officielles : elle vit dans les voix qui acceptent de témoigner, dans les mains qui compilent et dans les regards qui, un soir, se rencontrent autour d’un livre.
À l’issue des dédicaces, plusieurs participants repartent avec le sentiment d’avoir consolidé un maillon de la longue chaîne républicaine. L’ouvrage circule désormais, appelé à susciter d’autres débats, d’autres recherches, et peut-être de nouveaux volumes consacrés à des figures encore dans l’ombre.
Les organisateurs envisagent déjà une série de rencontres itinérantes mêlant lectures publiques et ateliers d’archives. Objectif : faire du patrimoine écrit un vecteur de dialogue intergénérationnel, capable de renforcer l’unité nationale derrière un récit commun, riche de nuances et ouvert au questionnement.
Si la disparition d’Élie Mavoungou laisse un vide, son texte prouve que l’acte d’écrire permet de traverser le temps. « Le pays ne manque pas de héros, il manque parfois de biographes », lançait un intervenant. Un rappel saisissant de la responsabilité partagée entre chercheurs et citoyens.
Au-delà du cas Opangault, la rencontre rappelle que l’historiographie congolaise gagne à se pluraliser. L’appel est lancé aux universitaires de Pointe-Noire, de Ouesso ou de la diaspora : exhumer lettres, journaux intimes, archives orales, afin de tisser un récit polyphonique à la hauteur du destin national.
