Des lexiques qui se répondent
La découverte de similarités entre le kisikongo et la langue de l’Égypte ancienne intrigue les linguistes depuis plusieurs décennies. De Nefer à Ptah, les racines phonétiques semblent franchir le Sahara et défier les ruptures historiques généralement admises.
Chez les locuteurs kongo, dire ku nièfe pour qualifier la beauté rejoint l’idéogramme égyptien nfr, signe de perfection esthétique. Cette coïncidence sonore et sémantique nourrit l’hypothèse d’un continuum africain, davantage qu’une simple série de hasards étymologiques.
Les dictionnaires comparés montrent que plus de cinquante lexèmes partagés lient ainsi les deux systèmes, dépassant les emprunts ordinaires et suggérant une circulation très ancienne des savoirs et des croyances le long des vallées fluviales africaines.
Un fil historique méconnu
Les archéologues s’accordent à reconnaître des mouvements de populations bantoues vers le nord-est dès le troisième millénaire avant notre ère. Ces migrations lentes auraient permis des contacts avec la Haute-Égypte, antérieurs à l’établissement de frontières rigides.
Plus tard, sous Akhenaton, la fondation d’Akhet-Aton attira des artisans venus de Nubie, de la cuvette congolaise et de tout le Nil supérieur. Leur créolisation linguistique aurait posé les bases de ce que l’on appellera plus tard l’hébreu impérial.
Quand la cité fut détruite, les exilés transportèrent cette koinè vers Canaan, perpétuant des termes comme Patah, liés à la création et au façonnage. Ces épisodes historiques replacent les langues kongo dans le cœur battant des premières globalisations africaines.
Des convergences sémantiques troublantes
Dans le kikuni, pata signifie enduire, modeler, embellir. En Égypte, Ptah est le démiurge qui façonne le monde par la parole. La parenté entre l’action manuelle et le verbe créateur illustre une philosophie commune de la matérialisation du beau.
Sekhmet, compagne terrible de Ptah, porte la tête de lionne. Le verbe kuni sekmè décrit l’eau qui se clarifie et se stabilise. Derrière l’image guerrière, apparaît la notion d’apaisement, comme si la lionne furieuse redevenait source de pureté après le tumulte.
Le champ lexical de l’ouverture, évoqué par le sémitique pòtéah, se retrouve dans le verbe kongo pothè, embrasser, étreindre, étendre. Ces convergences relient la dimension affective et la topographie de l’espace, rappelant que l’amour se décline aussi en géographie.
Appropriation et transmission orales
Dans les royaumes kongo, la tradition orale demeure l’archive première. Les nganga, gardiens de la mémoire, transmettent proverbes et étymologies qui permettent aujourd’hui de vérifier la persistance d’anciennes bribes égyptiennes au sein des récits généalogiques et des mythes cosmogoniques.
Cette circulation non écrite échappe souvent aux corpus académiques, mais elle se lit dans les chants de chasse, les berceuses et les formules d’invocation. Chaque intonation en conserve la cadence, offrant un laboratoire vivant aux chercheurs multidisciplinaires africains.
L’institution scolaire congolaise, par ses nouvelles filières de linguistique et de patrimoine, commence à intégrer ces données. Les partenariats signés avec l’université Marien Ngouabi et plusieurs centres égyptologiques ouvrent un champ de recherche qui valorise le génie culturel national.
Symbolique sociale et pouvoir du verbe
Au-delà des curiosités philologiques, la parenté lexicale éclaire l’ancien statut du mot comme force performative. Nommer, dans la tradition kongo, revient à conférer existence. La rencontre avec le verbe créateur de Memphis révèle une conception africaine partagée du langage producteur de réalité.
Cette vision influence encore la diplomatie communautaire. Lors des palabres, l’orateur choisi module sa voix afin de ‘sculpter’ la paix, répondant à l’héritage de Ptah façonnant le cosmos. Par la parole, on redresse, on répare, on construit l’espace public congolais.
Le pouvoir symbolique de la lionne Sekhmet réapparaît dans les rites de protection des nouveau-nés, où l’on invoque nkosi, le courage, mais aussi la clarté. Les mères rappellent que tout liquide trouble finira par se décanter, image d’un avenir social stabilisé.
Résonances dans le Congo contemporain
À Brazzaville, les programmes audiovisuels consacrent désormais des émissions à ces convergences linguistiques, popularisant un pan méconnu de l’histoire africaine. Les téléspectateurs découvrent que leur langue porte l’empreinte d’une civilisation pharaonique admirée à travers le monde.
Les autorités culturelles encouragent cette valorisation, y voyant un levier de cohésion nationale et d’autoestime. La mise en place d’ateliers de toponymie comparée favorise également la création d’outils touristiques, susceptibles d’attirer un public international vers les racines congolaises du verbe antique.
À l’heure où l’Union africaine promeut le multilinguisme comme moteur de développement, l’étude des parentés entre kisikongo et égyptien ancien place le Congo-Brazzaville au centre d’un récit continental valorisant. Elle rappelle qu’en Afrique, la beauté du mot demeure un bien commun.
Des colloques prévus à Pointe-Noire réuniront bientôt linguistes, historiens, artistes et leaders communautaires. L’objectif est double : cartographier les trajectoires des langues bantu vers la vallée du Nil et inventer, pour les jeunes Congolais, des programmes éducatifs ancrés dans cette continuité prestigieuse.
Le pari est que la connaissance approfondie de cette filiation lexicale consolidera l’éveil citoyen, en montrant que l’identité congolaise dialogue depuis toujours avec les grands centres de civilisation. Un passé reconnu devient alors un tremplin lucide vers les innovations futures.