Une dynamique de renforcement institutionnel à Brazzaville
Durant deux journées denses, les 10 et 11 juin 2025, le siège du Forum des jeunes entreprises a servi de creuset à une cinquantaine de membres des Comités de santé ainsi qu’à des représentants d’associations de consommateurs. Invités par l’Observatoire congolais des droits des consommateurs (O2CD), les participants ont disséqué les fondements juridiques et sociologiques de la cogestion sanitaire. L’initiative s’inscrit dans un projet de dix-huit mois financé à 76 % par l’Ambassade de France – soit 26,23 millions de francs CFA – dans le cadre du dispositif Kotonga, témoignant de la diplomatie d’influence qui entremêle expertise technique et soft power.
Des échanges nourris entre expertise locale et retours d’expérience internationaux
La première session, conduite par le professeur Richard Bileckot, inspecteur général de la santé, a rappelé les bases : « Le comité des usagers constitue l’espace de médiation par excellence entre le praticien et la communauté ». Par visioconférence depuis Paris, Christian Khaliffa, président d’INDECOSA-CGT, a détaillé le fonctionnement français des Commissions des usagers, soulignant la requête récurrente de transparence budgétaire et d’évaluation des plaintes. Cette juxtaposition d’expériences a permis d’interroger la transférabilité des modèles du Nord vers les Suds, notamment face aux réalités budgétaires et socioculturelles congolaises.
La place stratégique des Comités de santé dans l’architecture sociosanitaire
Institués au début des années 2000, les Comités de santé (COSA) constituent la manifestation la plus tangible de la volonté gouvernementale de démocratiser l’action publique en santé. Ces organes consultatifs investissent un double registre : d’une part, la remontée des attentes des usagers ; d’autre part, la participation à l’élaboration des micro-budgets des Centres de santé intégrée (CSI). Selon le Dr Nelson Bokalé, médecin-chef du district sanitaire de l’île Mbamou, la cogestion implique désormais « une partition à parts égales entre service technique et communauté ». Le propos résonne avec la Revue du secteur de la santé de 2018, laquelle diagnostiquait une « faible inclusion communautaire » dans la gouvernance.
Citoyenneté sanitaire et légitimité sociale : l’autre versant de la performance
Au-delà des injonctions budgétaires, la participation communautaire est d’abord un enjeu de capital social. L’atelier a mis en lumière la notion de « citoyenneté thérapeutique », expression empruntée à la sociologie des mobilisations, pour signifier la capacité d’un individu à influencer la prise de décision médicale sur son territoire. Arsène Ibara, président du COSA du centre Fleuve Congo, constate ainsi que « lorsque les patients perçoivent la porosité entre leur quotidien et la salle de consultation, ils acceptent plus aisément la discipline thérapeutique ». Le renforcement de la confiance apparaît dès lors comme un déterminant non négligeable de la performance sanitaire.
Apports et limites du modèle de cogestion dans le contexte congolais
L’investissement financier consenti par le partenaire français s’inscrit dans une logique de cofinancement public-privé qui offre un amortisseur budgétaire à court terme. Toutefois, plusieurs défis subsistent : stabilité des ressources propres, rotation rapide des bénévoles, et hétérogénéité des niveaux d’instruction au sein des COSA. René Ngouala, du comité de suivi de l’O2CD, rappelle que « la durabilité ne se décrète pas, elle se construit dans l’institutionnalisation progressive des pratiques participatives ». Les autorités sanitaires envisagent ainsi de consolider le dispositif par un arrêté harmonisant la composition des comités et renforçant leur droit d’accès aux informations comptables.
Effet levier sur les Objectifs de développement durable
En filigrane, l’atelier répond aux cibles 3.8 et 16.7 des Objectifs de développement durable, relatives respectivement à la couverture sanitaire universelle et à la prise de décision inclusive. L’étude exploratoire menée par l’École de santé publique de Brazzaville montre que les CSI dotés d’un COSA opérationnel enregistrent un taux de fréquentation supérieure de 12 % par rapport aux autres structures. Le ministère de la Santé voit dans ces chiffres la confirmation que la participation populaire n’est pas seulement un impératif éthique : elle constitue également un indicateur de rendement.
Vers une gouvernance sanitaire résiliente
Au terme de l’atelier, une feuille de route a été esquissée : sessions trimestrielles de formation, audit annuel participatif et création d’un fonds de solidarité géré paritairement. Si certains sceptiques redoutent un « effet placebo » faute de suivi, la majorité des acteurs présents y voient un pas supplémentaire vers une gouvernance sanitaire résiliente, capable d’absorber les chocs épidémiques et d’anticiper les besoins. Dans un contexte régional où les tensions sanitaires peuvent rapidement susciter des crispations sociales, l’ancrage des COSA dans le tissu local s’apparente plus à un investissement politique qu’à une simple réforme administrative. Le pari de la cogestion, en somme, est d’articuler efficacité technico-médicale et légitimité démocratique – gage de stabilité pour l’État comme pour ses partenaires.