Un compagnonnage diplomatique enraciné
Les archives du ministère congolais des Affaires étrangères rappellent que Le Caire fut l’une des premières capitales à reconnaître la République du Congo à l’orée de son indépendance en 1960. Depuis, les deux États n’ont cessé de faire de leur proximité géopolitique une variable d’ajustement face aux recompositions régionales. « Nos trajectoires nationales ont souvent convergé autour du principe de souveraineté et du refus de toute tutelle », observait récemment le chef de la diplomatie congolaise, Jean-Claude Gakosso, en marge de la célébration du soixante-treizième anniversaire de la Révolution égyptienne du 23 juillet 1952. Cette mémoire partagée irrigue encore aujourd’hui le dialogue politique bilatéral, marqué par une concertation régulière au sein de l’Union africaine et du Mouvement des non-alignés.
L’économie, moteur discret des convergences
Longtemps cantonnés aux produits de première nécessité et au secteur du BTP, les courants commerciaux entre Brazzaville et Le Caire se diversifient. L’adhésion des deux pays à la Zone de libre-échange continentale africaine ouvre des perspectives inédites pour les exportateurs congolais de bois d’œuvre et pour les industriels égyptiens spécialisés dans les matériaux de construction ou la pharmaceutique. En parallèle, la stratégie égyptienne « Vision 2030 », fondée sur la déconcentration industrielle et la rationalisation énergétique, trouve un écho favorable chez les décideurs congolais engagés dans le Plan national de développement 2022-2026. Plusieurs chambres de commerce signalent déjà une hausse des investissements croisés dans l’agro-industrie et les télécommunications, même si les contraintes logistiques – notamment l’absence de ligne maritime directe – demeurent un frein à la montée en puissance de ces échanges.
Sécurité et défense, piliers stratégiques
Le volet sécuritaire apparaît comme l’ossature la plus visible de la coopération. Depuis plus de vingt ans, l’Agence égyptienne de partenariat pour le développement finance des stages d’état-major et des formations d’officiers congolais aux techniques de lutte contre le terrorisme et de sécurisation des frontières. « Cette transmission de savoir-faire s’inscrit dans une logique d’appropriation nationale », précise l’ambassadrice Imane Yakout, rappelant la participation régulière d’observateurs congolais aux manœuvres « Bright Star » organisées par l’armée égyptienne. L’apport technologique, qu’il s’agisse de systèmes de drones de surveillance ou d’outils de cartographie numérique, confère aux forces armées congolaises des capacités accrues de réponse face aux menaces transfrontalières.
Dialogue culturel et académique, soft power partagé
Si l’imaginaire collectif retient volontiers l’éclat des pyramides ou le fleuve Congo, les deux peuples cultivent un maillage discret d’échanges intellectuels. Chaque année, une centaine d’étudiants congolais rejoignent les universités du Nil, notamment l’Université du Caire et Al-Azhar, où se tissent des réseaux d’alumni qui irriguent aujourd’hui l’administration congolaise. En sens inverse, les professeurs égyptiens de médecine et d’ingénierie interviennent régulièrement à l’Université Marien-Ngouabi. Les Instituts français et égyptiens de Brazzaville coproduisent par ailleurs des cycles de cinéma panafricain, reflet d’une diplomatie culturelle soucieuse de renforcer les identités africaines sans céder à l’uniformisation.
Perspective verte et innovation, l’axe 2030
L’engagement conjoint en faveur de la transition écologique constitue désormais un marqueur de la relation. Le projet de centrale nucléaire d’El-Dabaa, développé en partenariat avec la Russie, illustre la volonté égyptienne de réduire l’empreinte carbone de son mix énergétique, tandis que Brazzaville mise sur l’hydroélectricité des chutes de la Sangha et du sounda pour atteindre ses propres objectifs climatiques. Les délégations des deux pays ont d’ailleurs parlé d’une même voix lors de la COP27 à Charm el-Cheikh pour faire émerger un fonds destiné aux pertes et dommages subis par les États africains vulnérables. « Le combat climatique exige une solidarité agissante de toute l’Afrique », martelait la ministre congolaise de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, saluant le rôle de facilitateur exercé par Le Caire.
Entre multilatéralisme et médiation, un partenariat à relais africain
Au-delà du bilatéral, Brazzaville et Le Caire entendent peser sur la gouvernance continentale. L’Égypte, forte de son siège historique au Conseil de sécurité des Nations unies, multiplie les initiatives de médiation, qu’il s’agisse du cessez-le-feu à Gaza ou des pourparlers interlibyens. Le Congo, pour sa part, a vu son président Denis Sassou Nguesso désigné par ses pairs comme facilitateur de la crise libyenne, preuve d’une confiance régionale réaffirmée. La convergence d’approche entre les deux capitales s’appuie sur une même grille de lecture : primauté de la souveraineté nationale, refus des ingérences et préférence pour les solutions africaines aux crises africaines. Cet alignement diplomatique confère au tandem une crédibilité croissante dans les institutions panafricaines.
À l’heure où se recompose l’ordre mondial, la relation Congo-Égypte apparaît ainsi comme un laboratoire de coopération Sud-Sud équilibrée, capable de concilier réalités sécuritaires, impératifs de développement et exigence écologique. S’ils parviennent à lever les derniers handicaps logistiques et à consolider les échanges entre secteurs privés, Le Caire et Brazzaville pourront convertir ce riche passé commun en moteur d’influence durable sur la scène continentale.