Suspension inédite des importations
La décision est tombée comme un coup de théâtre commercial : depuis le 28 octobre 2025, l’importation de toutes les machettes et de toutes les motos est suspendue au Congo-Brazzaville, selon une note du ministre d’État en charge du Commerce, Alphonse Claude N’Silou.
Le texte, diffusé auprès des opérateurs économiques, évoque la nécessité de renforcer la sécurité publique et de mieux contrôler les produits jugés sensibles, sans préciser la durée de cette interdiction ni les quotas qui pourraient, le cas échéant, être réintroduits.
Impact économique pour les importateurs
Dans les ports de Pointe-Noire et de Brazzaville, des centaines de caisses déjà facturées se retrouvent bloquées sur les quais, faute d’autorisation de sortie. Les transitaires estiment que chaque semaine de stockage supplémentaire accroît la facture logistique de près de 8 %.
Les importateurs de deux-roues tablaient sur la saison des achats de fin d’année pour écouler des modèles populaires, notamment les engins utilitaires utilisés par les livreurs urbains. Cette suspension risque de geler entre dix et quinze milliards de francs CFA de chiffre d’affaires.
Le secteur agricole devra également composer avec ce nouvel encadrement. Dans de nombreuses plantations, la machette demeure l’outil principal de débroussaillage ; plusieurs coopératives redoutent une hausse indirecte des coûts de production si l’équipement se raréfie sur les marchés ruraux.
Motifs sécuritaires avancés par les autorités
Au ministère de l’Intérieur, on rappelle que la criminalité impliquant les armes blanches a augmenté de manière contenue mais régulière ces trois dernières années. Le bridage temporaire des importations vise, selon un haut responsable, à « calmer la pression sur le terrain ».
Les motos, prisées pour leur mobilité, seraient également utilisées lors de délits de voie publique. Les autorités soulignent que la suspension s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures comprenant le contrôle renforcé des plaques d’immatriculation et la constitution d’un registre national des propriétaires.
Interrogé, un officier de gendarmerie estime que « le temps logistique perdu par les réseaux criminels à se réapprovisionner doit offrir un avantage tactique aux forces de l’ordre », tout en affirmant que le gouvernement privilégie la concertation plutôt que l’interdiction permanente.
Réactions des consommateurs et des commerçants
Dans les marchés de Brazzaville, la rumeur a précédé l’affichage officiel de la circulaire. Quelques étals ont rapidement révisé leurs prix, une machette de qualité moyenne passant de 2 500 à plus de 4 000 francs CFA en l’espace de deux jours, selon plusieurs clients.
Les mécaniciens spécialisés dans la conversion de motos en tricycles pour le transport de marchandises craignent un ralentissement brutal. « Sans pièces neuves, nos carnets de commandes vont chuter », prévient Didier M., artisan du quartier de Mfilou, qui emploie quinze jeunes.
Du côté des associations de consommateurs, la vigilance prédomine. Elles saluent l’objectif sécuritaire tout en appelant à éviter une spéculation prolongée. Certaines demandent l’instauration d’un prix plafond contrôlé par les directions départementales du commerce afin de protéger les ménages à revenus modestes.
Cadre réglementaire et précédent historique
La suspension actuelle s’appuie sur l’article 14 du code douanier, qui autorise l’exécutif à restreindre temporairement les importations pour des motifs de sécurité ou d’ordre public. Une mesure similaire avait touché les explosifs civils en 2016 après une série d’incidents miniers.
En 2020, la RDC avoisinante avait également limité l’entrée des machettes dans ses provinces frontalières, invoquant les mêmes raisons. Les douanes congolaises affirment avoir retenu les leçons logistiques de cette expérience pour accélérer la communication avec les opérateurs dès la prise de décision.
Selon un fiscaliste de l’université Marien-Ngouabi, la suspension est juridiquement solide, mais elle doit être assortie d’un décret d’application pour préciser les contrôles au passage terrestre et fluvial. À défaut, les procédures de recours risquent de s’accumuler devant les tribunaux administratifs.
Perspectives d’assouplissement à moyen terme
Le ministre Alphonse Claude N’Silou a déjà réuni, le 2 novembre, un comité de suivi associant représentants des forces de l’ordre, chambres de commerce et organisations professionnelles. D’après un communiqué, ce groupe devra proposer un mécanisme de licences spéciales avant la fin de l’année.
Plusieurs sources gouvernementales laissent entendre que la liste des articles concernés pourrait être affinée. Les machettes destinées exclusivement aux usages agricoles ou les motos électriques répondant à des normes anti-bruit pourraient bénéficier d’un régime différencié, sous réserve de dispositifs de traçabilité acceptés par la douane.
En attendant, le commerce s’adapte. Certains grossistes négocient déjà des contrats de location de motos auprès de parcs existants, tandis que les artisans se tournent vers l’affûtage d’outils usagés. La mesure, si elle devait durer, pourrait accélérer la formalisation de ces nouvelles chaînes de valeur.
Les économistes du cabinet privé Forecast Africa envisagent pour leur part deux scénarios : une reprise graduelle des importations d’ici six mois, ou la substitution durable par de la production locale. Le second scénario nécessiterait des investissements ciblés dans la sidérurgie et l’assemblage mécanique.
