Le réveil d’un sport yakoute à Brazzaville
Le 24 juin, dans l’atrium sobre du Centre culturel russe de Brazzaville, le cliquetis des appareils photo a accompagné l’apparition d’un objet insolite : un bâton de cinquante centimètres que le public, intrigué, a immédiatement associé à une légende sibérienne. Devant les journalistes, Jarny Varnel Kimpedi, 27 ans, étudiant en master à l’Université d’État d’Oufa, a raconté comment ce simple morceau de bois, pilier du mas-wrestling, l’a hissé sur le podium mondial en 2022, dans la catégorie des moins de 60 kg. La directrice du centre, Maria Fakhroutdinova, y a vu « un pont inédit entre les jeunesses congolaise et russe », rappelant que l’histoire sportive des deux pays s’était jusqu’ici cantonnée au judo et au sambo.
Moscou, Brazzaville et la cartographie du soft power sportif
En accueillant la conférence, l’agence Rossotroudnitchestvo, bras armé de la diplomatie culturelle russe, a poursuivi une politique de « soft power par le muscle » amorcée lors des Jeux mondiaux de la Jeunesse à Sotchi en 2013 (Agence TASS). Depuis l’ère soviétique, Moscou mobilise la filière sportive pour tisser des alliances. Sambo, hockey sur glace ou lutte gréco-romaine ont déjà servi de passeport aux étudiants africains bénéficiant de bourses gouvernementales. Le mas-wrestling, discipline yakoute institutionnalisée en 2013 par la Fédération de Russie, s’inscrit désormais dans cette mosaïque. En Afrique centrale, où la compétition d’influences avec Pékin, Washington et Ankara s’exacerbe, l’arrivée d’un sport exotique mais peu coûteux offre à Moscou un avantage asymétrique : celui de la nouveauté.
Entre diplomatie de la force et émancipation de la jeunesse congolaise
Le Congo, dont près de 60 % de la population a moins de 25 ans (Banque mondiale), constitue un laboratoire idéal pour cette diplomatie sportive. « Transmettre ce que j’ai appris en Russie », martèle Kimpedi, conscient que le mas-wrestling valorise à la fois explosivité physique et stratégie psychologique, qualités prisées par une jeunesse en quête de modèles. Le ministère congolais des Sports, qui peine à diversifier un paysage dominé par le football, voit dans la création annoncée de l’Association congolaise de mas-wrestling une opportunité de capter des financements extérieurs. À terme, un championnat national pourrait naître avec l’appui de la United World Mas-Wrestling Federation, dont les statuts ouvrent la porte à des subventions privées et onusiennes (UWMF).
Les calculs géopolitiques d’une fédération en devenir
Au-delà du rêve sportif, la future fédération congolaise devra naviguer dans un environnement institutionnel complexe. Le Comité national olympique, soucieux de répondre aux normes de l’Agence mondiale antidopage, exigera des protocoles rigoureux. Or, la Russie, toujours sous contrôle renforcé depuis le scandale de Sotchi 2014, cherche à prouver qu’elle peut exporter une discipline sans zone d’ombre. Dans les couloirs de Brazzaville, des diplomates russes évoquent la possibilité d’organiser, dès 2025, une Coupe d’Afrique de mas-wrestling, avec un financement croisé incluant compagnies minières russo-congolaises. Un tel projet consoliderait l’ancrage économique de Moscou, déjà visible dans le secteur pétrolier via Lukoil et dans la sécurité par la présence de conseillers militaires (RIA Novosti).
Un horizon mongol et des passerelles panafricaines
Avant de se lancer dans le chantier institutionnel, Kimpedi s’envolera fin juillet pour Oulan-Bator, où se déroule le septième championnat du monde. « Je veux montrer que le Congo a désormais sa place dans l’arène », confie-t-il. S’il décroche une médaille, la visibilité médiatique servira de levier pour convaincre Abuja, Nairobi ou Antananarivo de créer à leur tour des sections nationales. Déjà, le Centre africain de mas-wrestling, basé à Johannesburg, envisage un circuit continental mêlant exhibitions et formations d’arbitres, modèle proche de celui qui a permis au taekwondo coréen de conquérir le continent dans les années 1990 (Le Courrier de Russie). Dans un contexte où la neutralité sportive est mise à mal par les sanctions internationales, un succès congolais offrirait à Moscou un récit positif, celui d’une coopération gagnant-gagnant fondée sur la performance et l’échange culturel plutôt que sur la vente d’armes.
Vers un nouvel échiquier de l’influence sportive en Afrique
Le mas-wrestling n’est peut-être qu’un sport de niche, mais il révèle la finesse des instruments diplomatiques contemporains. En mobilisant un athlète formé dans ses universités et en l’aidant à rayonner dans son pays d’origine, la Russie expérimente une méthode d’influence à faible coût, plus difficile à sanctionner que les livraisons d’équipements militaires. Face à la multipolarité africaine, Brazzaville pourrait, en capitalisant sur l’enthousiasme de sa jeunesse, devenir un nœud sportif singulier, attirant stages de préparation et tourisme événementiel. L’histoire dira si le bâton yakoute parviendra à faire levier sur les équilibres régionaux, mais la partie d’échec diplomatique est déjà engagée, coup d’envoi donné depuis l’ombre fraîche d’une salle du Centre culturel russe.