Un héritage minier devenu vulnérabilité sanitaire
Dans le sud du Congo, Mbinda incarne l’histoire ambiguë des villes mono-industrielles africaines. Trente-quatre ans après la fin brutale du convoi de manganèse vers Pointe-Noire, l’ancienne cité Comilog n’est plus qu’une silhouette industrielle à demi effacée. Les infrastructures se sont évaporées : l’eau potable aussi vite que l’électricité, laissant la population dépendante des nappes phréatiques et des rivières alentour. Cette régression hydraulique expose la ville à des pathogènes qui, hier encore, relevaient du folklore religieux et, aujourd’hui, figurent dans les bulletins épidémiologiques nationaux.
L’assainissement de la rivière Yordane n’est pas seulement un geste environnemental ; il représente une tentative de contenir la typhoïde, le choléra et la variole qui prospèrent dans les eaux stagnantes. Dans un contexte où le ministère congolais de la Santé recense une recrudescence des maladies hydriques dans le Niari, la vigilance communautaire devient un impératif autant sanitaire que stratégique.
Initiative citoyenne : la génération Passia en première ligne
Derrière les broussailles qui obstruent la Yordane, une trentaine de jeunes du quartier Passia s’emploient, pirogue après pirogue, à dégager troncs, branchages et plastiques. Divisés en deux équipes, ils chantent souvent plus qu’ils ne parlent ; l’enthousiasme leur sert de carburant là où le carburant disparaît. « Nous avons grandi dans les friches de l’ancienne mine ; notre avenir ne peut pas être aussi rouillé », confie Clément Kaba, vingt-deux ans, l’un des coordinateurs de l’opération.
Autofinancée pour l’essentiel, l’initiative se nourrit de micro-dons et d’un partenariat embryonnaire avec la mairie de Mbinda. L’autorité locale, limitée par un budget exsangue, se contente d’apporter des gants, des machettes et une promesse de collecte des déchets en aval. À défaut de politique publique robuste, la conscience écologique se forge donc à la force des bras.
Assainir pour prévenir : de l’environnement à la diplomatie de la santé
Le geste de ces volontaires s’inscrit dans la logique onusienne « One Health », qui relie santé humaine, animale et environnementale. Réduire les embâcles améliore la circulation de l’eau, limite la prolifération des moustiques et contribue indirectement à atténuer les flambées de paludisme. L’Organisation mondiale de la santé insiste sur le fait que 58 % des maladies infectieuses émergentes sont d’origine hydrique ou zoonotique. À Mbinda, la corrélation n’est plus théorique.
De fait, le nettoyage devient un argument de politique étrangère locale : il sert à solliciter des bailleurs, à convaincre d’éventuels opérateurs de la Banque mondiale ou de l’Agence française de développement que la communauté est prête à co-investir. Lutter contre la pollution de la Yordane, c’est donc aussi participer à la diplomatie de la santé, où l’engagement communautaire pèse désormais dans l’arbitrage des fonds.
La gouvernance locale face au vide laissé par la Comilog
Le retrait de la Comilog a laissé un désert institutionnel que ni l’État central ni les collectivités ne sont parvenus à combler. Les mécanismes classiques de responsabilité sociale des entreprises ont disparu avec les rails. Mbinda expérimente ainsi un modèle hybride : le pouvoir coutumier, la mairie et les comités de quartier négocient au cas par cas l’accès aux rares ressources.
Dans ce paysage, la jeunesse de Passia devient un acteur para-institutionnel. Ses opérations de nettoyage constituent un service public de substitution et un rappel discret que la gouvernance environnementale ne saurait se limiter à un décret sans mise en œuvre. L’enjeu, pour le préfet du Niari, est de transformer cette mobilisation en relais pérenne plutôt qu’en événement ponctuel voué à l’essoufflement.
Perspectives régionales et agenda des ODD
L’assainissement des berges de la Yordane résonne au-delà des frontières congolaises. Le bassin transfrontalier Niari-Nyanga, partagé avec le Gabon voisin, reste vulnérable à la déforestation et à la pollution minière diffuse. En alignant son action sur l’Objectif de développement durable 6 (eau propre et assainissement) et sur l’ODD 11 (villes durables), Mbinda pourrait capter l’attention de la Commission du bassin du Congo, qui cherche des projets démonstrateurs à petite échelle.
Le maire, Denis Nganga, admet « sonder des partenariats avec l’Agence nationale de l’environnement gabonaise afin de bâtir un corridor écologique autour de la Yordane ». Le projet, encore embryonnaire, témoigne toutefois d’une nouvelle grammaire où les collectivités rurales entendent dialoguer d’égal à égal avec les organismes internationaux.
Vers une diplomatie de l’eau au niveau communautaire
Au terme de dix jours d’effort, les rives de la Yordane dévoilent des bancs de sable oubliés et une eau moins trouble. Mais l’image la plus marquante reste celle d’adolescents, bottes de pêche aux pieds, évoquant dans un même souffle le paludisme, la biodiversité et la souveraineté alimentaire. Leur discours, s’il paraît improvisé, reflète l’émergence d’une véritable diplomatie communautaire de l’eau, capable de court-circuiter l’inertie administrative.
Le défi pour Mbinda est désormais double : consolider la démarche dans le temps et l’articuler à un plaidoyer structuré auprès des bailleurs. La réussite ou l’échec de cette entreprise dira beaucoup de la capacité des territoires post-industriels d’Afrique centrale à réinventer leur avenir en misant sur le capital humain, bien avant l’arrivée hypothétique de nouveaux investisseurs.