Diplomatie des transports: un nouveau souffle Sud-Sud
Le ballet discret des visites ministérielles à Brazzaville illustre la densification des relations entre la République du Congo et la République bolivarienne du Venezuela. En conviant l’ambassadrice Laura Evangelia Suárez au ministère des Transports le 16 juillet, la ministre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas inscrit la coopération logistique dans une stratégie assumée de diplomatie économique. Au-delà de l’échange protocolaire, les deux capitales entendent transformer les convergences politiques en corridors concrets, un enjeu majeur dans un contexte mondial où la fluidité des chaînes d’approvisionnement constitue un avantage comparatif décisif.
Brazzaville et Caracas au diapason logistique
Les discussions se sont articulées autour d’une feuille de route issue de la première commission mixte tenue à Caracas en octobre 2023. Les trois accords ratifiés à l’époque – portuaire, maritime et aérien – fixent les cadres réglementaires nécessaires à la création de lignes régulières de fret et de passagers. L’objectif affiché consiste à réduire la dépendance aux hubs septentrionaux et à faciliter la circulation de marchandises stratégiques, pétrole en tête, mais aussi cacao, bois certifié ou encore produits pharmaceutiques.
Sur le plan aérien, la perspective de vols charter opérés par la compagnie publique Conviasa vers Maya-Maya fait l’objet d’une étude de rentabilité. Côté maritime, le Port autonome de Pointe-Noire examine la possibilité d’accueillir des navires vénézuéliens transportant du fret roulier destiné à la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Cette complémentarité est techniquement plausible grâce à la flotte pétrolière du Venezuela et à l’expertise congolaise en manutention de vrac sec.
Des accords de 2023 à l’épreuve du terrain
Les instruments juridiques signés à Caracas posent les fondations, mais leur opérationnalisation requiert une ingénierie institutionnelle minutieuse. Plusieurs comités techniques mixtes, coprésidés par les directions générales de l’Aviation civile des deux pays, planchent déjà sur l’harmonisation des certificats de navigabilité et sur la réciprocité des droits de huitième liberté. « Nous avançons pas à pas, mais la volonté politique est ferme », confie un cadre congolais impliqué dans le dossier.
Le financement représente un défi majeur dans un environnement financier mondialisé où le coût du capital reste élevé pour les économies émergentes. Les parties explorent différentes architectures, qu’il s’agisse de lignes de crédit bonifiées par la Banque de développement de l’Amérique latine ou de partenariats public-privé adossés à des armateurs spécialisés.
Diversification économique, impératif partagé
Si le pétrole constitue un dénominateur commun, les deux gouvernements affichent leur détermination à élargir leur matrice productive. « Il est essentiel de diversifier nos économies respectives », a rappelé l’ambassadrice Suárez. Cette orientation rejoint le Plan national de développement congolais 2022-2026, qui mise sur la logistique comme pôle de croissance, et la stratégie vénézuélienne de relance post-sanctions mettant l’accent sur l’agro-industrie et le tourisme.
La création d’une ligne maritime dédiée au cacao issu de plantations congolaises et transformé à Caracas épouserait l’ambition conjointe de remonter les chaînes de valeur. De même, le fret aérien pourrait stimuler l’exportation de fleurs tropicales du Niari vers les marchés caribéens, symbole d’une coopération dépassant le mono-produit pétrolier.
Soft power féminin et échanges culturels
Le geste diplomatique offrant du chocolat afro-vénézuélien et un « Miel de femme » à la ministre des Transports dépasse le simple présent protocolaire. Il traduit l’importance conférée à l’entrepreneuriat féminin comme levier d’inclusion et de résilience économique. La sociologue Clotilde Makoua souligne que « la visibilité des femmes dans les échanges Sud-Sud redéfinit la géopolitique du genre, longtemps cantonnée à des initiatives caritatives ».
Dans cette optique, un forum entrepreneurial réunissant coopératives congolaises et entreprises dirigées par des Vénézuéliennes est pressenti pour novembre prochain à Brazzaville. Il mettrait en lumière les synergies possibles entre les filières agroécologiques et l’artisanat d’art, créant ainsi une toile de fond sociale à la coopération logistique.
Perspectives régionales: du corridor pétrolier à la route du cacao
À moyen terme, l’ouverture d’un service maritime régulier pourrait transformer Pointe-Noire en tête de pont vers l’Atlantique Sud, offrant au Congo un ancrage supplémentaire dans la Zone de libre-échange continentale africaine. Pour Caracas, l’accès facilité à la façade atlantique centrale renforce l’option africaine de sa politique extérieure, parallèlement à ses liens traditionnels avec l’ALBA.
Les analystes estiment qu’une première rotation de navire test, associée à un vol inaugural Bogotá-Brazzaville-Caracas, constituerait un signal fort aux investisseurs. Dans un environnement géo-économique changeant, la matérialisation de ces projets contribuerait à stabiliser les recettes non pétrolières et à conforter la place du Congo comme hub logistique régional.
Cap sur une route Sud-Sud à haute valeur symbolique
En articulant infrastructures, diversification productive et diplomatie culturelle, Brazzaville et Caracas mettent en scène une coopération qui se veut exemplaire d’une mondialisation polycentrique. La prudence budgétaire reste de mise, mais la fenêtre d’opportunité est réelle. Les deux États disposent d’atouts complémentaires: ressources énergétiques, position géostratégique et capital humain formé aux métiers du transport.
L’évolution des prochains mois indiquera si le dialogue logistique inauguré à Caracas en 2023 peut se traduire par des dessertes tangibles et pérennes. Quoi qu’il arrive, la symbolique du miel et du cacao offerts au ministère congolais rappelle qu’une diplomatie des saveurs peut parfois ouvrir la voie à des corridors maritimes et aériens porteurs de croissance partagée.