Mossendjo, laboratoire d’un soft power en gestation
À première vue, la perspective de neuf jours de danses traditionnelles paraît relever du simple divertissement. Elle s’inscrit pourtant dans une stratégie plus ambitieuse où la ville forestière de Mossendjo, épicentre commercial du Niari méridional, endosse un rôle de vitrine du soft power congolais. Les autorités culturelles, relayées par la direction du festival, soulignent que l’initiative répond à l’Appel de Brazzaville pour la valorisation du patrimoine immatériel formulé lors du Forum panafricain de 2023 (Ministère de la Culture du Congo, communiqué du 12 mai 2024). Dans un pays soucieux d’équilibrer les investissements pétroliers par une diplomatie d’influence plus durable, la programmation du FRIAL s’apparente à un signal d’ouverture vers le reste du continent et au-delà.
Sept ethnies, cinq thématiques, une narration nationale
La mise en scène de la diversité n’est pas exempte d’arrière-pensée politique. En conviant troupes Punu, Tékés, Kotas, Tsanguis, Nzébis, Kugnis et communautés autochtones, les organisateurs entendent écrire une narration nationale capable de transcender les fractures régionales héritées de la période post-conflictuelle du début des années 2000. Les cinq thématiques – de l’adultère au mariage coutumier – puisent dans une jurisprudence ancestrale encore vivace, illustrant les mécanismes de justice communautaire qui, faute d’accès généralisé aux tribunaux modernes, continuent de régir la vie quotidienne dans de vastes zones rurales (Centre d’études juridiques de l’Université Marien-Ngouabi, rapport 2022). En exposant ces rites au public urbain et étranger, le FRIAL se positionne comme médiateur entre droit positif et normes coutumières, enjeu crucial pour un État engagé dans un chantier d’harmonisation législative soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie.
Patrimoine immatériel et diplomatie des identités
Inscrire les rites Nzobi, Mvudi, Isimvu, Mungula et Mukissi dans un dispositif scénique constitue un pari délicat. Le ministère congolais de la Culture a confirmé avoir sollicité l’expertise de l’UNESCO en vue d’une inscription future sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO, note verbale 19 mars 2024). Ce processus, s’il aboutit, offrirait au Congo un levier de visibilité comparable à celui dont bénéficie le Bénin pour le Vodoun ou le Sénégal pour le sabar. En diplomatie culturelle, la reconnaissance internationale fonctionne tel un multiplicateur d’audience, attirant mécènes, chercheurs et opérateurs touristiques, mais elle exige aussi des garanties de sauvegarde et de transmission, mission ardue dans un contexte de déforestation et d’exode rural galopants.
Tourisme, économie locale et risques de folklorisation
Au-delà des intentions patrimoniales, le FRIAL est également pensé comme accélérateur économique. La chambre de commerce de Mossendjo anticipe un afflux d’environ cinq mille visiteurs, soit près du tiers de la population urbaine, générant une demande inédite en hébergements, restauration et transports terrestres jusque-là centrés sur l’industrie forestière (Chambre de commerce du Niari, prévision de janvier 2025). Toutefois, la manne reste hypothétique sans infrastructures connectant efficacement la route nationale 1 et l’aéroport de Dolisie. Certains anthropologues, tels la professeure Mahoua Mbemba, redoutent en outre qu’une logique strictement mercantile vide les rites de leur substance, entraînant une folklorisation où le symbolisme cède le pas à la performance calibrée pour touristes. La tension entre rentabilité et authenticité rejoint celle observée lors du Festival sur le Niger à Ségou, souvent cité en exemple mitigé par les experts de l’Observatoire des politiques culturelles africaines.
Cuisine traditionnelle et diplomatie du goût
La gastronomie n’est pas en reste dans cette stratégie d’influence. Les mets bwata, moussielé, ititi ou tsaha na mussielé, synonymes de convivialité dans les villages de la Louessé, seront dégustés sous chapiteaux dédiés à la promotion des savoir-faire féminins. Le Programme des Nations unies pour le développement identifie d’ailleurs la filière agro-alimentaire traditionnelle comme segment prioritaire pour la diversification économique du Congo (PNUD, rapport 2023). En convertissant le palais des visiteurs, la diplomatie du goût renforce l’ancrage émotionnel du public et prolonge la conversation culturelle au-delà de la simple performance scénique.
Enjeux sécuritaires et gouvernance locale
Toute manifestation de cette échelle s’expose à des contingences sécuritaires. Le préfet du Niari a annoncé la mobilisation d’unités mixtes police-gendarmerie, épaulées par des brigades communautaires, afin de prévenir la petite criminalité et gérer les flux. Le souvenir de l’annulation partielle du festival FESPAM 2017 pour raisons budgétaires plane encore et alimente une vigilance accrue sur la gouvernance financière. Des partenaires extérieurs, dont l’Agence française de développement, ont conditionné leur soutien logistique à des audits indépendants ex-post, signe d’une exigence de transparence alignée sur les standards internationaux de coopération culturelle.
Vers une pérennisation diplomatique
Si la première édition tient ses promesses, le FRIAL pourrait intégrer le circuit des grands rendez-vous culturels du continent, à l’instar du MASA d’Abidjan ou du Festival panafricain d’Alger. De tels événements exercent une influence croissante dans la définition de l’agenda diplomatique, car ils offrent un espace informel de négociation où ministres, bailleurs et opérateurs privés croisent les artistes. L’Union africaine, qui planche depuis 2022 sur une Charte de la culture et de la créativité, pourrait saisir l’occasion pour promouvoir l’intégration régionale à travers la mobilité des troupes et la mutualisation des infrastructures. Dans cette perspective, Mossendjo devient plus qu’un théâtre : une agora où se dessine le futur équilibre entre tradition et modernité, entre identité locale et projection internationale.