Le granit, ressource stratégique à Mossendjo
Au bord du lac Bleu, la poussière claire du granit se mêle aux reflets turquoise de l’eau. Marteaux en main, des dizaines de jeunes hommes et femmes transforment des blocs millénaires en graviers calibrés, indispensables aux chantiers qui fleurissent dans la sous-préfecture.
Le mètre cube se négocie autour de soixante mille francs CFA, un prix attractif pour les petites constructions privées. Cette valeur ajoutée locale renforce la disponibilité d’un matériau de base et réduit les coûts de transport depuis les grandes carrières industrielles du littoral.
Selon un agent du service départemental des Mines, « la demande augmente avec la densification du bâti rural ; l’artisanat pierreux joue un rôle d’appoint complémentaire aux opérateurs mécaniques ». Le phénomène s’inscrit donc dans une dynamique économique locale en pleine mutation.
Des trajectoires individuelles révélatrices
Germain, trente-neuf ans, se souvient d’une « période sans horizon » avant de découvrir la carrière. Sa première journée lui a laissé des ongles fendus, mais aussi l’équivalent d’un sac de manioc. Deux ans plus tard, il finance la scolarité de trois enfants.
Rodrigue, lui, parle d’« émancipation ». Ancien demandeur d’aumône, il chérit aujourd’hui l’autonomie que lui procure la vente hebdomadaire d’agrégats. « La pierre me rend digne », glisse-t-il. À Mossendjo, ce sentiment d’utilité alimente une nouvelle forme d’identité professionnelle.
La majorité des tailleurs de pierre provient des quartiers périphériques, récemment urbanisés par l’afflux démographique lié à l’agriculture de rente. Peu titulaires de diplômes, ils maximisent leur force physique avant d’envisager une formation continue, souvent promue par les autorités locales et les ONG partenaires.
Risques sanitaires et réponses communautaires
La silicose guette des organismes exposés à une poussière fine. Le service communal de santé rappelle la nécessité de porter masques et lunettes, équipements encore rares dans la carrière artisanale. Une campagne de sensibilisation mobile circule depuis janvier pour distribuer protection et premiers soins.
Sous l’égide de la mairie, un point d’eau a été creusé en bord de site afin de limiter les coups de chaleur. « L’objectif reste de concilier activité génératrice de revenus et sécurité », explique un infirmier volontaire. Les autorités affirment suivre l’évolution sanitaire de près.
Le risque mécanique est aussi présent. Fractures, éclats oculaires ou entorses surviennent malgré l’entraide collective. Les aînés organisent des rotations pour évacuer les blessés vers le centre de santé de proximité, récemment rénové avec l’appui du gouvernement et du Programme des Nations unies pour le développement.
Perspectives d’insertion et accompagnement public
Les services du ministère des Petites et moyennes entreprises ont lancé un recensement des tailleurs de pierre afin de faciliter l’accès au microcrédit. L’idée est de transformer des initiatives individuelles en coopératives capables de négocier de meilleurs prix et d’acquérir un matériel moins pénible.
Dans le cadre du Plan national de développement 2022-2026, des modules de formation à la gestion et à la sécurité au travail sont proposés à Mossendjo. Plusieurs jeunes ont déjà suivi un atelier pilote sur la transformation de gravillons en pavés décoratifs, aux débouchés plus rémunérateurs.
Un conseiller municipal souligne que « le granit taillé localement peut devenir une marque territoriale ». Pour lui, la création prochaine d’un centre technique mutualisé, soutenu par des partenaires étrangers, devrait renforcer la chaîne de valeur et ancrer les jeunes dans des parcours professionnels durables.
Diversifier l’économie locale autour du granit
Au-delà des graviers, le sous-sol de Mossendjo recèle un potentiel en pierres ornementales. Des artisans testent déjà la sculpture de mortiers culinaires ou de dalles polies destinées à la décoration intérieure, un segment porteur auprès de la diaspora qui construit des maisons de retour.
Une étude de l’université Marien-Ngouabi relève que chaque mètre cube de granit transformé localement multiplie par deux la valeur captée dans le Niari. Elle recommande la mise en place d’un label qualité et l’introduction d’outils semi-mécanisés pour accroître la productivité sans déstabiliser l’emploi.
Dans le même temps, les autorités encouragent l’installation de petites unités de concassage réglementées afin de limiter l’exploitation anarchique des collines. Cette mesure vise à préserver l’environnement et à prolonger la durée de vie des ressources, tout en maintenant les revenus de la filière.
Pour de nombreux observateurs, l’avenir économique de Mossendjo dépendra de sa capacité à articuler agriculture, transformation du bois et industrie minérale légère. L’activité de taille de pierre, longtemps marginale, s’intègre désormais à cette matrice de diversification, portée par l’esprit d’initiative de la jeunesse.
En attendant ces évolutions, les marteaux continuent de résonner dès l’aube. Chaque éclat témoigne d’une quête d’opportunité et d’une volonté de contribuer à l’essor local. Dans la chaleur et la poussière, la pierre devient un vecteur d’espoir pour une génération en quête de stabilité.
Les experts estiment que si une ligne ferroviaire minéralière reliait le Niari au port de Pointe-Noire, l’exportation de blocs calibrés ouvrirait un nouveau chapitre de croissance inclusive.