Une nomination stratégique pour le groupe
En annonçant Karl Toriola vice-président pour l’Afrique francophone, MTN confirme vouloir capter le potentiel d’une région où la pénétration mobile dépasse 90 % mais où l’Internet haut débit reste à amplifier. Le Nigérian pilotera désormais des marchés réunissant plus de 120 millions d’abonnés.
Le communiqué interne évoque « une étape décisive » dans le plan Ambition 2025 du groupe, centré sur les services de données, le mobile money et les solutions d’entreprise. L’arrivée d’un cadre reconnu, rompu aux réalités multilingues, vise à accélérer l’exécution.
Cette décision survient dans un contexte d’intensification concurrentielle. Les opérateurs régionaux multiplient investissements et alliances pour conquérir un public jeune, fortement demandeur de vidéos, de jeux et de commerce en ligne. MTN veut garder son avance technologique et commerciale.
Un parcours forgé entre ingénierie et management
Diplômé de l’Université de Surrey, Karl Toriola a débuté comme ingénieur chez Ericsson avant de rejoindre MTN en 2006. Il y gravit les échelons jusqu’à diriger la filiale nigériane, première entité du groupe par le chiffre d’affaires.
Sous sa conduite, MTN Nigeria a lancé la 5G, franchi le cap des 75 millions d’abonnés et intégré davantage de services financiers mobiles. Les analystes signalent une hausse moyenne de 17 % du revenu data depuis 2021, malgré une conjoncture mondiale tendue.
Ses proches vantent un style participatif et une capacité à « localiser » chaque action. « Karl écoute les utilisateurs, puis adapte le produit au pouvoir d’achat et aux habitudes culturelles », confie un cadre ayant travaillé à Lagos et Abidjan.
Les marchés francophones, entre effervescence et défis
Le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Congo-Brazzaville partagent une démographie jeune et urbanisée. La demande en gigaoctets progresse de 30 % par an, stimulée par les réseaux sociaux et la recherche d’opportunités économiques.
Cependant, la rentabilité reste sensible aux coûts d’infrastructures, encore élevés en zones rurales. La régulation progresse vers davantage de transparence, tandis que les gouvernements encouragent les opérateurs à participer à l’inclusion numérique.
Pour MTN, la clé sera d’équilibrer investissements lourds – fibre optique, backbone, data centers – et offres abordables. Toriola devra composer avec des exigences fiscales et sociétales distinctes selon les pays.
Congo-Brazzaville : un laboratoire numérique
Avec un taux de couverture 4G proche de 70 %, le Congo-Brazzaville se positionne comme terrain d’expérimentation pour les services fintech et e-santé. Les autorités entendent faire du numérique un levier de diversification économique d’ici 2030.
Le marché local compte deux grands opérateurs, dont MTN Congo, qui a récemment modernisé 300 sites radio et lancé des offres de paiement sans contact. Les partenariats avec des start-up congolaises se multiplient, notamment dans l’agritech.
Selon le ministère de l’Économie numérique, la data représente déjà 45 % des revenus des opérateurs. Un bond attendu à 60 % en 2026 si la demande suit la courbe actuelle. Toriola devra conforter cette trajectoire.
Innovation : la course à la valeur ajoutée
Au-delà de la simple connectivité, MTN mise sur les contenus éducatifs, la musique en streaming et la télémédecine. Dans les marchés francophones, ces services pèsent encore moins de 15 % du chiffre d’affaires, mais leur marge est nettement supérieure.
Karl Toriola a déclaré vouloir « créer des écosystèmes locaux de développeurs », afin que les applications reflètent la richesse linguistique et culturelle de chaque pays. L’objectif est de réduire la dépendance aux plateformes étrangères tout en fidélisant les clients.
Les programmes d’incubation, déjà testés à Lagos, seront adaptés à Brazzaville et Abidjan. MTN promet des crédits cloud, des formations et un accès privilégié à l’API Mobile Money pour les jeunes entreprises.
Conséquences pour l’emploi et la formation
Les investissements prévus par MTN pourraient générer plusieurs milliers d’emplois indirects dans la sous-région, notamment dans la construction de tours télécoms, le marketing digital et la cybersécurité.
Au Congo-Brazzaville, l’opérateur travaille avec l’Université Marien-Ngouabi pour des cursus d’ingénierie réseau. Une soixantaine d’étudiants bénéficient chaque année de stages dans les centres techniques de Pointe-Noire et Brazzaville.
Les ONG locales espèrent que la montée en puissance des services numériques s’accompagnera d’initiatives dédiées à la réduction de la fracture de genre. MTN affirme consacrer 20 % de son budget RSE à l’inclusion des femmes dans la tech.
Pressions réglementaires et responsabilité sociétale
Dans la plupart des marchés francophones, les autorités exigent désormais le stockage local des données sensibles. MTN prévoit l’ouverture de nouveaux data centers conformes aux meilleures normes environnementales.
Les associations de consommateurs surveillent les tarifs. Une tarification progressive, calée sur le pouvoir d’achat, est régulièrement négociée avec les régulateurs pour éviter une hausse des inégalités numériques.
La responsabilité sociétale englobe aussi la lutte contre la fraude et la cybercriminalité. Toriola juge prioritaire de déployer des solutions d’authentification renforcée et de sensibiliser le grand public à la sécurité en ligne.
Une feuille de route ambitieuse, un calendrier serré
D’ici fin 2025, MTN prévoit de couvrir intégralement les capitales régionales du Congo et du Cameroun en 5G, tout en doublant la capacité du réseau 4G. Les tests pilotes ont débuté autour du port autonome de Pointe-Noire.
La convergence entre services financiers et télécoms figure aussi dans le plan. Le volume de transactions Mobile Money devrait dépasser 35 milliards de dollars dans la zone UEMOA-CEMAC d’ici 2026, selon la BCEAO.
Toriola devra enfin veiller à maintenir une relation constructive avec les investisseurs. Les marchés boursiers africains regardent de près la rentabilité des filiales pour mesurer la solidité globale du groupe.
Perspectives régionales et rôle du Congo-Brazzaville
Le Congo, carrefour entre Golfe de Guinée et bassin du Congo, peut servir de pont numérique pour la sous-région. Les infrastructures de câbles sous-marins atterrissent déjà à Muanda, reliées aux backbones terrestres.
En s’appuyant sur ces atouts, le pays ambitionne d’attirer des centres de données panafricains. La présence renforcée de MTN rend ce scenario plus crédible, estiment plusieurs économistes.
Dans un marché globalisé, la souveraineté numérique devient un facteur de compétitivité. Le gouvernement congolais mise sur une collaboration étroite avec les opérateurs pour sécuriser les échanges et stimuler l’innovation locale.