Un souverain à l’identité toujours débattue
Figure fondatrice du royaume de Kongo dia Ntotila, Nimi Lukeni fascine autant les universitaires que les gardiens de la tradition. Son appartenance à l’aire culturelle Kuni ou Yombe demeure une question ouverte, nourrie par des récits souvent contradictoires et par la rareté des sources écrites précoloniales.
Historiens, anthropologues et linguistes s’appuient désormais sur la triangulation des archives portugaises, des chants de lignage et de la recherche de terrain pour affiner les hypothèses. L’objectif n’est plus seulement de statuer sur une ethnie, mais de saisir un processus de formation politique régional.
Indices linguistiques du Niari à la cour de Mbanza Kongo
Le toponyme Nsundi, province historique du royaume, dériverait du verbe kuni « ku tsunda », débuter ou fabriquer. Cette lecture rapproche le cœur du pouvoir kongo de la vallée du Niari et suggère des migrations anciennes de groupes Kuni vers l’Ouest.
Les chroniques orales collectées au sud de Kibangou évoquent le fleuve originel Nsundi Niadi, devenu Niari sous la plume des missionnaires européens. Ce glissement phonétique, confirmé par plusieurs dialectologues, renforce l’idée d’un substrat kuni sous la nomenclature kongo.
Chez les Kuni, le nom Nimi est attribué au second jumeau masculin, pendant que le premier porte Ngo. L’onomastique royale s’inscrirait donc dans une cosmologie précise, où la gémellité structure hiérarchie, alliance et légitimité dynastique.
La gémellité, clé de lecture allusive
La distribution des prénoms jumeaux Ngo et Nimi rappelle, par analogie, les récits sémitiques d’Ésaü et Jacob. Certaines écoles voient là une convergence symbolique autour de la complémentarité force-stratégie, fréquente dans les sociétés d’initiation du bassin du Congo.
Nimi, littéralement « celui qui suit », incarnerait la prudence, la médiation et la ruse, qualités indispensables au tissage d’alliances inter-claniques. Cette lecture sociologique éclaire la rapidité avec laquelle Nimi Lukeni aurait attiré les lignages voisins pour former une monarchie fédérative.
Le fait que la fille préférée du souverain porte les noms Nzinga, Kuni et Lawu sert de balise supplémentaire. Chaque anthroponyme souligne des valeurs kuni : bravoure, goût de la fête, fertilité. L’espace court entre le foyer domestique et le discours politique.
Toponymes vivants, mémoire des parcours royaux
À cinq kilomètres de Lubetsi, un torrent nommé Lukenini rappelle, selon les pasteurs locaux, la halte d’un roi en fuite. La RN3 qui longe son lit serait l’écho asphalté d’un vieux chemin royal contournant les contreforts de la Bouenza vers le Gabon.
La chronologie contredit toutefois l’idée d’une défaite face aux Yaka au Xe siècle. Les premières incursions attestées de ce peuple n’apparaissent qu’au milieu du XVIe siècle, période marquée par les rivalités lusitaniennes et néerlandaises pour le contrôle des esclaves.
Ces écarts temporels invitent à traiter les traditions non comme des faits bruts mais comme des récits performatifs, remodelés par les crises successives du royaume, notamment la traite atlantique et les guerres de l’intérieur.
Données matérielles et défis de l’archéologie
Les quelques fouilles menées à Mbanza Kongo, classée au patrimoine mondial, ont livré des tessons, des scories et des perles de provenance lointaine. Cependant, aucune tombe attribuable avec certitude à Nimi Lukeni n’a été mise au jour.
La localisation potentielle de la sépulture oscille entre les plateaux sablonneux de Bandundu, les cavités karstiques de la vallée du Niari et le lit secondaire du fleuve Congo. Chaque hypothèse attend des prospections géophysiques systématiques, encore coûteuses pour les institutions nationales.
Le gouvernement congolais affirme pourtant sa volonté de soutenir la recherche patrimoniale. Des programmes coopératifs avec l’UNESCO et des universités d’Afrique centrale sont en discussion, une dynamique pouvant déboucher sur des chantiers-écoles et la formation de techniciens locaux.
Un patrimoine partagé, des enjeux contemporains
Au-delà du débat érudit, l’origine de Nimi Lukeni nourrit un imaginaire d’unité transfrontalière. Les Kuni, les Yombe, les Téké et les Bembé y trouvent des références communes qui structurent encore l’organisation du droit foncier et des cérémonies de passage.
Réaffirmer la pluralité d’influences dans la genèse du royaume contribue à apaiser les tensions identitaires contemporaines. La reconnaissance de trajectoires croisées permet de valoriser la diversité sans remettre en cause la cohésion nationale prônée par les autorités.
Pour progresser, les chercheurs réclament une base de données collaborative regroupant sources orales numérisées, cartographie toponymique et analyses isotopiques. Ce chantier, à la fois scientifique et citoyen, placerait le Congo-Brazzaville au centre des études africaines sur la formation des États précoloniaux.