Une infrastructure stratégique pour l’essor du GNL
Le 26 août, les quais du chantier naval de Shanghai ont vu appareiller le Nguya, deuxième unité flottante de liquéfaction de gaz naturel destinée à la République du Congo. L’événement, retransmis à Pointe-Noire, scelle une étape majeure dans la montée en puissance du secteur gazier national.
Sur la passerelle, le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean Richard Itoua et le directeur d’Eni Natural Resources, Stefano Maione, ont salué la mise à flot d’une installation décrite comme « un jalon technologique et commercial ». Leur présence illustre l’alignement entre l’État et ses partenaires industriels pleinement stratégiques.
Un chantier achevé en temps record
Le Nguya complète le Tango FLNG, opérationnel depuis décembre 2023. Ensemble, les deux plateformes porteront la capacité de liquéfaction congolaise à trois millions de tonnes par an d’ici fin 2024, plaçant le pays parmi les rares producteurs africains capables de livrer rapidement du GNL compétitif et conforme aux standards.
La rapidité du chantier étonne : trente-trois mois ont suffi pour concevoir, assembler et tester ce complexe flottant de haute technologie. À l’heure où les délais s’allongent sur les mégaprojets énergétiques mondiaux, cette performance conforte la crédibilité des équipes congolaises et de leurs fournisseurs étrangers.
Derrière la coque acier, une architecture de procédés à faible empreinte carbone illustre la trajectoire décarbonée voulue par les autorités. Le Nguya utilisera une alimentation électrique optimisée et recourra à une stratégie zéro torchage, démontrant que rentabilité et responsabilité environnementale ne sont plus des objectifs antagonistes dans ce secteur.
Partenariats publics-privés au centre du projet
Le modèle économique repose sur une synergie entre la Société nationale des pétroles du Congo, Eni Congo et Lukoil. Leur accord de partage de production garantit à l’État une régularité tout en laissant aux compagnies latitude pour optimiser la commercialisation sur les marchés spot et contractuels.
Pour NJ Ayuk, président exécutif de la Chambre africaine de l’énergie, « le départ du Nguya prouve que Brazzaville peut livrer des projets gaziers sûrs et rentables ». Selon lui, cette crédibilité technico-financière devrait attirer un flux accru d’investissements, tant pour l’exploration que pour les services parapétroliers et les infrastructures logistiques.
Impact économique et social attendu
Les autorités voient plus loin que la seule exportation de gaz. Une partie des volumes devrait alimenter, à terre, des centrales électriques, sécurisant ainsi l’approvisionnement national et offrant aux industriels un coût de kilowattheure stable, levier attendu de la diversification économique future.
Pour éviter le syndrome de la rente, le ministère table sur un renforcement de la formation locale. L’exploitation du Nguya mobilisera des ingénieurs, soudeurs pression et opérateurs de procédés dont la majorité devra provenir des écoles techniques de Pointe-Noire et de Brazzaville, selon les cahiers des charges.
Le chantier a également bénéficié d’une ingénierie de financement diversifiée, mêlant emprunts commerciaux et appui d’institutions de crédit à l’export. Cette structuration, jugée moins risquée par les analystes, pourrait servir de matrice à d’autres projets d’infrastructures stratégiques aspirant à la clôture financière dans la région.
Du point de vue géopolitique, la montée en puissance du GNL congolais intervient alors que l’Europe cherche à diversifier ses approvisionnements post-2022. Brazzaville y voit l’opportunité de renforcer ses liens avec l’Union européenne et de rééquilibrer, à son avantage, le dialogue énergétique Sud-Nord dans les années à venir.
Néanmoins, certains observateurs appellent à une vigilance budgétaire. Les courbes de prix du gaz restant volatiles, la Banque centrale préfère encourager une gestion prudente des revenus, à travers un fonds de stabilisation dédié et des investissements ciblés dans la santé et l’éducation nationale prioritaires.
Vers une décarbonation pragmatique
En parallèle, la société civile plaide pour plus de transparence. Les contrats d’achat, les indicateurs d’émissions et les retombées fiscales devraient, selon elle, être publiés de manière régulière. Le ministère assure préparer un portail numérique afin d’informer citoyens, chercheurs et investisseurs sur les performances du programme gazier.
À court terme, l’enjeu principal demeure l’arrivée en toute sécurité du navire sur le champ Marine XII. Une traversée de plusieurs semaines via l’océan Indien, puis l’Atlantique Sud, mobilise une logistique maritime et douanière coordonnée entre la Chine, l’Angola et le Congo-Brazzaville entier processus.
Une fois amarré, le Nguya recevra le gaz issu des forages existants et futurs, avant de liquéfier, stocker puis charger la production sur des méthaniers affrétés. Cette chaîne intégrée réduit les pertes, limite l’empreinte au sol et valorise un gisement autrefois considéré comme marginal par certains.
À l’horizon 2030, le gouvernement vise une montée progressive de la capacité gazière, tout en maintenant le cap sur les objectifs climatiques adoptés à la COP27. Le tandem Tango-Nguya, présenté comme laboratoire d’une industrialisation responsable, pourrait ainsi ouvrir la voie à une nouvelle diplomatie énergétique congolaise sur continent.
Les économistes rappellent toutefois que le succès dépendra aussi de la capacité du pays à réinvestir les recettes gazières dans les infrastructures routières et numériques, afin d’irriguer l’ensemble du territoire et de consolider sa cohésion.