Une vitrine de la transition énergétique congolaise
À Nkayi, au cœur de la Bouenza et des cultures sucrières, le groupe agro-industriel Somdia érige une distillerie dont la mise en service est annoncée pour le 27 juin 2025. Capable de produire 50 m³ d’alcool par jour, soit plus de 6 millions de litres d’éthanol par an, l’installation affiche l’ambition d’assurer la totalité d’un marché national évalué à 5,5 millions de litres. Pour Brazzaville, il s’agit d’un jalon symbolique dans une stratégie de diversification énergétique encore balbutiante, mais jugée indispensable alors que le pétrole représente plus de 70 % des recettes d’exportation (Ministère congolais de l’Énergie 2023).
Un investissement structurant de 23 millions d’euros
La réalisation mobilise 23 millions d’euros, étalés sur deux exercices budgétaires. Somdia s’est adjoint le concours technologique de l’indien Praj, spécialiste mondial de la fermentation, et le savoir-faire des sociétés Congo Contracting et Ponticelli pour la partie génie civil et tuyauterie. Dans un environnement financier africain encore marqué par la frilosité des prêteurs vis-à-vis des bioénergies, l’opération fait figure de test grandeur nature. L’Agence française de développement, approchée mais non partie prenante, observe le dossier « avec intérêt », confie un cadre à Paris.
Souveraineté nationale et sécurisation des chaînes d’approvisionnement
En substituant une production domestique aux importations d’alcool brut venues principalement d’Afrique du Sud, du Brésil et d’Europe de l’Est, le Congo réduit sa facture en devises et limite l’exposition de ses industries agro-alimentaires à la volatilité des cours mondiaux. Pour Thierry Monéret, directeur industriel de Somdia, « l’autonomie d’approvisionnement est un gage de stabilité pour l’ensemble de la filière boisson et pharmaceutique ». L’argument n’est pas anodin : en 2022, l’inflation importée liée à la guerre en Ukraine avait fait bondir de 18 % le prix du litre d’éthanol en Afrique centrale (Comesa 2024).
Une valorisation des coproduits sucriers exemplaire
Le procédé repose sur la fermentation de 25 000 tonnes de mélasse issues du raffinage de la canne cultivée par la Société agricole de raffinage industriel du sucre (Saris). Ce modèle circulaire limite drastiquement les déchets et s’inscrit dans les principes de « bio-économie » promus par l’Union africaine. Le résidu de distillation, la vinasse, sera réutilisé comme amendement organique sur les plantations voisines, réduisant le recours aux engrais de synthèse. Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’éthanol de mélasse affiche une empreinte carbone inférieure de 60 % à celle de l’essence conventionnelle sur l’ensemble du cycle de vie (IEA 2023).
Enjeux géopolitiques et intégration sous-régionale
L’implantation de Nkayi intervient alors que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale souhaite harmoniser une tarification incitative pour les biocarburants. Brazzaville envisage déjà d’exporter un surplus potentiel vers le Gabon et le Cameroun, profitant d’accords douaniers préférentiels. L’initiative pourrait, à terme, favoriser la constitution d’un corridor logistique du bioéthanol entre Pointe-Noire et Douala, renforçant les liens politiques entre pays francophones de la sous-région. Aux yeux d’analystes de l’Oxford Business Group, cette diplomatie de l’énergie douce pourrait compenser la perception de dépendance vis-à-vis de Pékin dans le secteur pétrolier.
Défis opérationnels et attentes des investisseurs
Reste la question centrale de la fiabilité électrique et ferroviaire pour acheminer la production. Le réseau de la Société nationale d’électricité accuse un taux de pertes techniques supérieur à 25 %, tandis que la ligne CFCO reliant Nkayi à Pointe-Noire souffre d’interruptions fréquentes. Somdia assure avoir prévu une centrale biomasse d’appoint pouvant couvrir 60 % de ses besoins en vapeur et en électricité. Les fonds d’investissement, qui scrutent désormais l’impact ESG des projets industriels, attendent des garanties de transparence sur les conditions sociales des quelque 200 emplois directs créés, ainsi que sur la contractualisation de 1 500 agriculteurs fournisseurs de canne.
Perspectives régionales pour la filière bioéthanol
Avec Nkayi, le Congo rejoint le cercle restreint des producteurs africains d’éthanol de qualité alimentaire aux côtés du Kenya, de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe. L’Agence africaine de normalisation annonce pour 2025 une certification commune AfroBioEthanol 1 qui faciliterait la circulation intra-continentale. À moyen terme, la distillerie pourrait diversifier ses débouchés vers les cosmétiques et, surtout, la fabrication de gel hydroalcoolique, marché stimulé par la récente pandémie. Pour les diplomates, le projet illustre la diplomatie économique de proximité que le président Denis Sassou-Nguesso promeut afin de réduire la dépendance vis-à-vis des bailleurs classiques et de conforter sa stature de pivot environnemental en Afrique centrale.
Entre symbolique industrielle et signal politique
Dans un contexte où les hydrocarbures continuent de dominer l’économie congolaise, la distillerie de Nkayi incarne un virage prudent mais tangible vers une matrice énergétique plus diversifiée. Au-delà des volumes, c’est le signal politique envoyé aux partenaires multilatéraux qui importe : le Congo se veut capable de s’approprier les enjeux de la transition verte, non pas sous la contrainte d’engagements internationaux, mais par intérêt stratégique national. À ce titre, la réussite ou l’échec de Nkayi pèsera sans doute davantage qu’un baril de pétrole sur la crédibilité climatique du pays lors des prochaines COP.