Nkayi, nouveau pivot de la chimie verte en Afrique centrale
Sous un soleil déjà haut, les volutes blanches s’échappant des colonnes de distillation ont dessiné la silhouette d’une ambition nationale : faire de Nkayi la capitale sous-régionale de l’éthanol. En présidant la mise en service du site, le chef de l’État a souligné que le bassin sucrier de la Bouenza possède désormais un outil capable de transformer un sous-produit agricole en carburant de croissance.
Dans cette ville habituée aux campagnes sucrières, l’arrivée de la distillerie introduit une dimension supplémentaire, celle de la chimie verte. Les 50 mètres cubes journaliers annoncés placent aussitôt le Congo dans le peloton de tête des pays d’Afrique centrale ayant intégré l’éthanol à leur mix industriel.
Une synergie publique-privée de quatorze milliards de francs CFA
Le montage financier illustre une coopération fluide entre capitaux privés, incitations publiques et partenariats techniques. Somdia, filiale du groupe Castel, a mobilisé 14 milliards FCFA pour ériger l’infrastructure en vingt-quatre mois, tandis que l’administration a sécurisé l’environnement réglementaire indispensable à l’amortissement d’un tel investissement.
Cette répartition des rôles s’inscrit dans la stratégie nationale de diversification économique. À Nkayi, la fiscalité incitative combinée à l’engagement logistique de l’État crée un écosystème propice à l’implantation d’autres industries de transformation, telles que les biocarburants de seconde génération ou la chimie fine issue de la biomasse.
L’intégration circulaire comme boussole stratégique
En amont, 25 000 tonnes de mélasse, résidu sucrier autrefois sous-valorisé, seront converties en plus de six millions de litres d’éthanol par an. « Rien ne se perd, chaque produit est valorisé », rappelle le président-directeur général de Somdia, Olivier Parent, soulignant la logique de circularité qui irrigue l’ensemble du projet.
Cette démarche répond aux critères internationaux d’économie circulaire, fondée sur la réduction des déchets et la création de nouvelles chaînes de valeur à partir de flux secondaires. Dans le contexte congolais, elle ouvre des perspectives pour les agriculteurs locaux, invités à intégrer la filière par des contrats de fourniture et des formations techniques.
Standards internationaux et souveraineté sanitaire
Produisant un éthanol à 96 °, l’usine vise trois marchés distincts : pharmaceutique, cosmétique et énergétique. Le ministre du Développement industriel, Antoine Thomas Nicéphore Fylla-Saint Eudes, insiste sur la « conformité aux exigences environnementales, sanitaires et industrielles modernes », condition sine qua non pour l’exportation intra-africaine.
En satisfaisant d’abord la demande intérieure estimée à 5,5 millions de litres, le Congo réduit sa dépendance vis-à-vis des importations, sécurise ses chaînes d’approvisionnement en gel hydroalcoolique et ouvre la voie à des carburants moins intensifs en carbone. L’effort participe ainsi de la souveraineté sanitaire et énergétique recherchée par les autorités.
Externalités économiques et gouvernance territoriale
Entre création d’emplois directs en logistique, maintenance, sécurité et administration, et effets induits sur l’hôtellerie ou la formation professionnelle, la distillerie crée un multiplicateur économique tangible pour la Bouenza. Les autorités locales évoquent déjà l’émergence d’un « corridor de compétences » capable de retenir la main-d’œuvre qualifiée dans la région.
À l’échelle nationale, l’initiative alimente la réflexion sur la décentralisation industrielle. Les collectivités territoriales voient dans l’exemple de Nkayi un modèle de gouvernance où la fiscalité locale, réinvestie dans les infrastructures sociales, consolide l’acceptabilité des projets à forte intensité capitalistique.
Technologies indiennes, expertise congolaise
La mise en route des colonnes de distillation, conçues par l’ingénieriste indien Praj, signale l’internationalisation maîtrisée de l’outil productif congolais. Congo Contracting, maître d’œuvre national, a assuré l’adaptation des procédés au climat équatorial et formé les techniciens locaux à la maintenance de haut niveau.
Cet alliage entre savoir-faire importé et compétence nationale tend à pérenniser la chaîne de valeur sur le territoire. Les ingénieurs congolais contribueront à terme à l’optimisation énergétique de l’installation, notamment à travers la récupération de chaleur pour l’alimentation des lignes de cristallisation sucrière voisines.
Vers une diplomatie de l’éthanol made in Congo
Au-delà des frontières, l’éthanol congolais suscite déjà l’intérêt de pharmaciens camerounais et de distributeurs angolais. Les autorités entendent convertir cet avantage comparatif en outil de soft power économique, renforçant la position de Brazzaville dans les forums régionaux consacrés aux énergies propres.
Les scénarios prospectifs élaborés par le ministère de l’Économie prévoient qu’un marché commun de l’éthanol, s’il se confirme, pourrait multiplier par trois les exportations congolaises d’ici 2030. Nkayi serait alors non seulement un site industriel clef mais aussi un symbole de la capacité du Congo à conjuguer innovation, durabilité et diplomatie économique.