Une implantation religieuse en expansion
Sous un ciel clair de saison sèche, la première pierre du temple de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours a été posée à Makelekele. Le geste marque un tournant dans l’histoire d’une communauté désormais forte de plusieurs milliers de fidèles.
Annoncé par les apôtres Russell M. Nelson et Richard G. Scott dès 1992, le projet aura donc attendu trois décennies avant d’entrer en phase active, preuve de la persévérance d’une institution qui croit à un ancrage durable en Afrique centrale.
La foi mormone, minoritaire mais dynamique, revendique près de 10 000 membres au Congo-Brazzaville. La construction d’un temple, étape rare dans la cartographie de l’Église, distingue désormais Brazzaville aux côtés de Lagos, Abidjan ou Johannesburg, autres capitales africaines dotées d’un édifice.
Les enjeux sociologiques pour Brazzaville
Dans le tissu religieux local, déjà riche de paroisses catholiques, protestantes et réveillées, l’arrivée d’un temple mormon ajoute une nouvelle nuance. Selon le sociologue Emmanuel Bihouli, « chaque lieu de culte monumental redessine la géographie urbaine autant qu’il redéfinit les appartenances ».
Le futur sanctuaire devrait attirer des fidèles venus du Gabon, du Cameroun ou de la République démocratique du Congo. Les flux pèlerins attendus raviveront l’économie tertiaire du quartier : taxis, restauration de rue, petites chambres d’hôte, autant de services appelés à se professionnaliser.
Sur le plan symbolique, l’édifice offrira un espace de rites spécifiques, distincts des cérémonies dominicales classiques. Mariages éternels, baptêmes pour les ancêtres ou sessions d’étude scripturaire y seront pratiqués, renforçant la cohésion interne du groupe, tout en suscitant la curiosité des voisins immédiats.
Dialogue entre foi et pouvoir public
Au nom du gouvernement, la ministre Irène Marie Cécile Mboukou Kimbatsa a salué « une maison bâtie sous le regard de Dieu ». L’allocution illustre la posture congolaise, souvent décrite comme un laïcisme de reconnaissance, qui protège la pluralité sans effacer les spiritualités.
Les applaudissements adressés aux autorités par Elder Thierry Mutombo confirment cette proximité. L’Église salue un cadre juridique garantissant la liberté de conscience, tandis que l’État reconnaît, en retour, la contribution sociale des organisations confessionnelles dans l’éducation, la santé ou l’action humanitaire de proximité.
Cette coopération feutrée s’inscrit dans la tradition politique congolaise, encouragée par le président Denis Sassou Nguesso depuis plusieurs mandats. Pour l’exécutif, la paix religieuse est un facteur de stabilité, condition sine qua non de l’ambitieux programme de développement contenu dans le Plan national 2022-2026.
Un chantier porteur d’emplois et de savoir-faire
Les travaux, confiés à un consortium d’entreprises locales et sud-africaines, mobiliseront près de 400 ouvriers pendant trois ans. Le cahier des charges retient des matériaux à forte résistance climatique, ainsi qu’une charpente antisismique, illustrant une ingénierie adaptée aux réalités régionales.
L’université Marien-Ngouabi a déjà proposé des stages pour ses étudiants en génie civil, désireux d’observer la logistique d’un chantier religieux international. Pour le doyen Élie Mbemba, « l’expérience permettra de diffuser des compétences exportables dans les futurs programmes d’infrastructures publiques ».
L’impact économique ne se limite pas aux salaires. La commande d’agrégats, de ciment et de menuiserie active toute la filière construction de la capitale. Les maraîchers voisins espèrent, eux, écouler chaque matin leurs fruits auprès d’ouvriers nombreux et pressés.
Perspective internationale et diplomatie religieuse
Brazzaville rejoint un réseau mondial de temples, pivot diplomatique d’une Église structurée en sièges régionaux. Les échanges réguliers d’autorités religieuses apporteront une vitrine supplémentaire au pays, dont le corps diplomatique veut accentuer la visibilité positive sur les scènes africaine et américaine.
Les analystes constatent que la construction d’un temple précède souvent l’établissement de programmes sociaux renforcés : ateliers de littératie, formations à l’autonomie ou puits d’eau potable. Ces initiatives s’imbriquent dans l’effort national de solidarité prôné par le ministère concerné.
Toutefois, certains observateurs interrogent la capacité d’un groupe minoritaire à éviter une concurrence confessionnelle parfois vive. Les responsables mormons répondent en soulignant leur doctrine de neutralité politique et leur participation aux plates-formes interreligieuses pilotées par le Conseil chrétien du Congo.
À l’heure où les villes africaines réinventent leurs identités, le futur temple promet d’inscrire Brazzaville sur la carte des capitales spirituelles émergentes. Au-delà de la pierre posée, c’est une histoire de coexistence pacifique et de développement partagé qui commence.