Un tournant institutionnel attendu
Au cœur du corridor forestier qui relie la Cuvette à la Sangha, le Parc national Ntokou-Pikounda s’étend sur plus de quatre cent mille hectares d’une biodiversité restée longtemps à l’écart des projecteurs internationaux. Depuis la création de l’aire protégée en 2012, la réglementation congolaise fixait la rédaction d’un plan d’aménagement comme préalable à toute activité économique ou scientifique durable. Treize ans plus tard, la perspective de ce document stratégique se précise enfin : le Fonds mondial pour la nature vient, le 7 juillet 2025, de publier un appel à consultance de soixante-dix jours pour en établir l’ossature.
Les droits communautaires au cœur des attentes
Pour le Centre d’actions pour le développement, l’annonce résonne comme la reconnaissance d’un plaidoyer mûri depuis près de trois ans. L’organisation congolaise a multiplié, dès 2022, enquêtes de terrain et rapports publics pour documenter la situation des populations forestières dont l’espace de vie se superpose aux limites administratives du parc. « Sans texte de gestion, les communautés vivaient dans une incertitude permanente », rappelle Armand Okouala, coordinateur du C.a.d. L’accès à la rivière Bokiba, artère vitale pour la pêche et le transport de biens essentiels, cristallisait notamment les tensions. En l’absence de clarifications juridiques, les restrictions successives avaient, selon l’O.N.G, provoqué plusieurs drames évitables.
La feuille de route de soixante-dix jours
Le cahier des charges publié par le W.W.F fixe un calendrier resserré : soixante-dix jours ouvrés pour dresser un diagnostic écologique, cartographier les usages traditionnels de la forêt et proposer un zonage concerté. Si la durée peut être prolongée, la date butoir de décembre 2025 demeure le référentiel commun à toutes les parties. Cette temporalité maîtrisée répond à la volonté, affichée à Brazzaville, d’inscrire la gouvernance environnementale du Congo dans les standards internationaux tout en garantissant la sécurité juridique des investisseurs publics et privés engagés dans l’économie verte.
Entre conservation et développement régional
L’enjeu dépasse la seule protection des espèces emblématiques telles que le gorille des plaines ou l’éléphant de forêt. Le futur plan doit articuler préservation des services écosystémiques et amélioration tangible des conditions de vie des quelque dix-huit mille habitants répartis dans la périphérie élargie du parc. Les ministères chargés de l’Économie forestière et du Développement local envisagent déjà des corridors écocertifiés permettant la circulation de produits agricoles, tandis que des coopératives villageoises testent des filières de cacao à faible empreinte carbone. « Nous devons démontrer que la conservation peut devenir un levier d’intégration régionale, pas un frein », souligne un haut fonctionnaire congolais, appelant à une synergie entre bailleurs internationaux et initiatives communautaires.
Gouvernance partagée et diplomatie environnementale
La dynamique actuelle illustre la maturité d’un modèle de co-gestion où État, société civile et partenaires techniques évoluent dans un cadre de dialogue continu. Pour Denis Sassou Nguesso, dont les interventions lors des Sommets des trois bassins ont rappelé la centralité du patrimoine forestier congolais dans la lutte mondiale contre le changement climatique, Ntokou-Pikounda représente un laboratoire grandeur nature. La communication officielle insiste d’ailleurs sur la conformité du processus aux engagements pris dans le cadre de la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes. Dans cette perspective, la consultation des chefs coutumiers et la prise en compte des savoirs endogènes sont considérées comme des gages de légitimité et de stabilité.
Cap sur la rivière Bokiba
Reste la question symbolique et pratique de la rivière Bokiba. Le C.a.d milite pour que les restrictions de navigation soient levées dès l’adoption du plan, invoquant le droit fondamental à la mobilité et à la subsistance. Des ingénieurs du Service de la navigation intérieure étudient un protocole qui concilie sécurité des espèces aquatiques et libre circulation des pirogues motorisées. Les discussions sont suivies de près par les autorités départementales, soucieuses de prévenir tout regain de tensions. « Le dialogue avance sur des bases apaisées », assure un représentant des communautés Baka, optimiste quant à une issue « durable et irréversible ».
Une étape vers la sécurité juridique du paysage forestier
Si le défi technique demeure considérable, l’alignement inédit des acteurs institutionnels, associatifs et privés autour d’un même échéancier confère à l’initiative un caractère exemplaire. À l’heure où la sous-région d’Afrique centrale redéfinit ses priorités en matière d’utilisation des terres, le futur plan d’aménagement du Parc national Ntokou-Pikounda apparaît comme un référentiel potentiel pour d’autres aires protégées. En conjuguant participation citoyenne, rigueur scientifique et anticipation économique, le processus en cours pourrait consacrer un nouvel équilibre entre conservation et développement, contribuant à la stabilité sociale et à la valorisation durable des ressources naturelles du Congo.