Une rentrée littéraire en effervescence
Au siège de l’Association des anciens enfants de troupe du Congo, la deuxième journée de la rentrée littéraire 2025 a confirmé l’ambition de l’AET : réunir écrivains, universitaires et passionnés autour de onze titres appelés à irriguer le paysage culturel national.
Aux côtés du président Rémy Ayayos Ikounga, hommes et femmes de lettres ont scruté la modernité d’une production qui va du roman social à la poésie lyrique, illustrant la diversité des plumes congolaises et camarades d’armes de l’AET.
La rencontre, modérée par l’AET Armand Elenga, portait un intitulé aussi ambitieux que symbolique : « 2 199 pages avec Charles N’Kouanga », clin d’œil aux deux recueils du poète analysés, mais aussi à la densité accumulée des discussions.
Le choc narratif de L’intruse du Khalifat
À la tribune, trois intervenants se sont relayés : Jessy Loemba, doctorant en droit et auditeur de justice ; Patherson Mouckaulho Itsissa, coach en art oratoire ; et le Dr Rosin Loemba, chargé de cours à l’Université Marien Ngouabi.
Le roman « L’intruse du Khalifat », publié en 2018, a retenu l’attention par son traitement frontal du terrorisme, thématique rarement abordée avec autant de franchise dans la prose congolaise contemporaine, selon l’analyse détaillée livrée par Patherson Mouckaulho Itsissa.
Aminata, héroïne camerounaise formée à l’École normale, cherche une rédemption qu’elle ne trouve ni dans le christianisme ni dans l’Islam, basculant finalement dans un jihad radical mené, entre autres, aux côtés d’un khalife inspiré du mouvement Boko Haram.
Le critique a souligné la construction d’un espace-temps imaginaire, le Kakongo, dont la capitale économique, Wali, sert de pivot aux allers-retours entre Niger et Mali, révélant un travail lexical nourri de références géopolitiques précises.
« Nous quittons les questions d’amour pour celles, brûlantes, de sécurité », a-t-il lancé, insistant sur l’alignement du vocabulaire – califat, néo-djihadiste, État islamique – avec la dramaturgie du texte, véritable miroir des peurs contemporaines.
La voix poétique de Charles N’Kouanga
À l’autre extrémité du spectre littéraire, deux recueils de Charles N’Kouanga ont offert une respiration lyrique engageant l’histoire et la mémoire collective des anciens enfants de troupe : « Hosties Marlyques » puis « Odes Leyennes ».
Jessy Loemba a montré comment l’auteur mobilise la cadence des chants militaires, l’imaginaire religieux et un patriotisme apaisé pour composer des textes méditatifs, où la fraternité transcende la rigueur de la caserne.
Le Dr Rosin Loemba a, quant à lui, interrogé la dimension engagée de ces poèmes, observant qu’ils invitent à « dessiner un avenir collectif sans oublier le sacrifice des aînés », formule saluée par le public.
Entre prose tourmentée et vers solennels, la table ronde a laissé affleurer le rôle que l’AET entend jouer : faire vibrer la mémoire des promotions tout en stimulant une création qui dépasse les frontières disciplinaires et générationnelles.
Table ronde et regards croisés
Les échanges, ponctués par les intermèdes musicaux de l’AET Aristide J. Johnson, ont donné au rendez-vous la chaleur d’un cabaret littéraire, où les applaudissements faisaient écho aux fulgurances des orateurs.
Dans la salle, plusieurs étudiants de l’Université Marien Ngouabi ont profité de la proximité avec les auteurs pour poser des questions sur l’économie du récit, la recherche documentaire ou l’autodiscipline nécessaire à l’écriture poétique.
Les intervenants ont insisté sur le travail en atelier et la relecture collective, pratiques encouragées par l’AET afin de professionnaliser la filière du livre au Congo-Brazzaville et de préparer la rentrée éditoriale annoncée pour 2026.
La séance s’est conclue par une invitation du président Ikounga à multiplier les partenariats avec les institutions universitaires et les centres culturels, pour « faire du livre un levier de citoyenneté et d’unité nationale ».
Si la journée n’a pas épuisé l’ensemble des onze ouvrages programmés, elle a ouvert un cycle d’analyses appelé à se poursuivre lors des prochains cafés littéraires, preuve qu’au-delà de la dévotion associative, l’AET vise une influence durable sur la scène culturelle.
Perspectives et ouverture
En célébrant la puissance du verbe, les anciens enfants de troupe affirment leur place dans le récit national, tout en rappelant qu’une société se juge aussi à l’attention qu’elle porte à ses écrivains.
Dans un contexte régional où les défis sécuritaires restent prégnants, l’initiative illustre la capacité du livre à nourrir la réflexion collective, sans jamais céder au désespoir, souligne-t-on dans l’entourage de l’organisation.
Rendez-vous est déjà pris pour la troisième journée, consacrée cette fois aux premiers romans, preuve que la rentrée de l’AET sait conjuguer fidélité à ses pionniers et ouverture à la relève.
Les organisateurs promettent également une édition numérique des actes de ces journées, afin de toucher la diaspora congolaise installée à Paris, Montréal ou Abidjan, et renforcer le réseau international des AET qui compte déjà plusieurs antennes actives.
Pour ceux qui s’interrogent sur la place du livre face aux écrans, Rémy Ayayos Ikounga répond que « la lecture demeure un entraînement stratégique de l’esprit, au même titre que la marche l’est pour le corps », faisant écho à la devise de l’association.
Les projecteurs restent donc braqués sur la suite du programme.
