Un débat numérique aux racines profondes
Une photographie ancienne montre Bernard Bakana Kolélas, jeune, debout devant une case du Pool, visage grave déjà, alors que les premières rumeurs sur ses origines n’avaient pas encore germé. Aujourd’hui, le débat ressurgit sur les réseaux, attisant curiosités, fantasmes et clivages identitaires, ici où la mémoire demeure enjeu politique.
Il suffit pourtant de parcourir les actes d’état civil et les récits familiaux recueillis par l’historien Jean Vital Fructueux Koléla-Kouka pour constater que l’ancien maire de Brazzaville appartient au groupe sundi-lari, et non au vaste monde téké que certains internautes lui attribuent.
La question dépasse la simple généalogie: elle touche à ce que la sociologie nomme la compétition symbolique pour la légitimité, ces récits que les sociétés post-coloniales mobilisent afin de se réapproprier un passé troublé par la violence de l’histoire et la fragmentation des mémoires.
Généalogie sundi-lari confirmée
Selon les archives familiales, Bernard voit le jour au lever du 12 juin 1933 à Mboloki, près de Mbondzi, au cœur d’un Pool déjà traversé par les contre-coups de la révolte matsouaniste et par les rides d’une colonisation française encore fébrile.
Son père, Nkouka ma Koutou, chef de village et couturier réputé, appartient au clan Ntsembo; sa mère, Loumpangou Lua Bizenga, vient du clan Ndamba, deux lignages sundi-lari que reliaient les alliances matrimoniales et une forte conscience des hiérarchies coutumières.
La séparation des parents oblige l’enfant à suivre son beau-père, le tisserand Binana Bia Mbouala, installé entre Ngounounkoutou et Ngabantari; l’apprentissage du tissage va nourrir chez Bernard un sens aigu de la minutie, qu’il transposera plus tard dans son engagement politique.
Étapes décisives d’une trajectoire mobile
Le dossier judiciaire ouvert contre lui en 1969 l’entraîne jusqu’à Ouesso, puis à Étoumbi, où, de 1973 à 1975, il demeure en résidence surveillée; cette relégation dans la Cuvette-Ouest entretient la confusion avec une supposée ascendance téké, bien que son passage y soit circonstanciel.
En réalité, c’est dès 1934, au lendemain de l’affaire Matsoua, que la branche maternelle fuit le Pool pour Nsouélé, territoire téké majoritaire; le jeune Bernard, alors âgé de quatre ans, y découvre une mosaïque culturelle qui marquera durablement son approche inclusive de la citoyenneté.
L’histoire coloniale, matrice identitaire
La répression coloniale, l’essor du chemin de fer Congo-Océan, la Société indigène de prévoyance sociale et l’émergence de figures charismatiques comme André Grenard Matsoua forment le décor dans lequel s’élabore la trajectoire du futur opposant, faite de résistance et de négociation constante avec l’autorité.
Pour les sociologues, ces déplacements contraints, ces emprisonnements et ces alliances inter-ethniques illustrent la capacité des élites congolaises à transformer des blessures privées en capital politique, tout en brouillant les repères identitaires fixés par l’administration coloniale puis par l’État post-indépendance.
Au-delà des rumeurs, une leçon civique
L’identité de Bernard Bakana Kolélas n’est donc ni figée ni instrumentalisée à des fins de division; elle témoigne au contraire de la porosité des frontières culturelles et de l’habileté d’un homme à dialoguer avec plusieurs espaces sociaux sans renier ses racines sundi-lari.
La confusion actuelle révèle toutefois la fragilité de l’information numérique: un message viral mal sourcé suffit à bouleverser la perception collective, rappelant que l’accès généralisé aux réseaux ne dispense pas de la rigueur critique qui fonde tout projet démocratique et toute cohésion nationale.
Vers une mémoire partagée
Dans son ouvrage paru en 2022, Jean Vital Fructueux Koléla-Kouka souligne que « la connaissance exacte des filiations contribue à pacifier l’espace public », plaidant pour un dialogue citoyen débarrassé des suspicions ethniques et recentré sur les urgences socio-économiques partagées.
Plus largement, l’itinéraire de Bernard Bakana Kolélas rappelle que la construction nationale repose sur la reconnaissance de trajectoires plurielles; intégrer cette pluralité dans le récit commun participe du renforcement institutionnel et du climat d’apaisement encouragé par les autorités depuis plusieurs années.
La sociologie politique enseigne que les États qui parviennent à transcender les identités primaires consolident leur stabilité; en défaisant les rumeurs, le débat sur les origines de Kolélas offre l’occasion de réaffirmer ce principe, tout en soulignant l’importance des sources vérifiées et de la pédagogie historique.
À l’heure où la République du Congo écrit de nouvelles pages, revisiter sereinement les parcours de ses grandes figures, telle Bernard Bakana Kolélas, revient à construire des ponts entre les générations, à nourrir l’unité et à rappeler que l’histoire, loin des polémiques, appartient à tous.
Le rôle des médias et de la recherche
Certains chercheurs évoquent la « mémoire disputée » pour qualifier ces controverses; il ne s’agit pas d’un phénomène uniquement congolais, mais d’un trait commun aux sociétés africaines où la construction nationale se fait souvent dans la tension entre héritages lignagers, frontières coloniales et aspirations contemporaines.
Dès lors, la responsabilité des journalistes et des usagers du numérique est engagée: vérifier, contextualiser, restituer. À cette condition, l’espace public congolais demeure un lieu de débat éclairé, respectueux des institutions et capable de valoriser la diversité qui fait sa force.