Pointe-Noire au cœur du débat post-pétrole
Dans le grand hall de l’hôtel Elaïs, l’ambiance studieuse contraste avec l’animation portuaire voisine. Réunies sous l’égide de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, des voix venues des ministères, des majors pétrolières installées dans le bassin atlantique, des organisations environnementales et des représentants des communautés de Loango débattent de l’avenir d’un modèle économique longtemps arrimé au Brent. Le choix de Pointe-Noire, capitale énergétique du Congo, résume à lui seul l’enjeu : penser la transition là même où se concentre la rente.
Le projet « Préparer l’après-pétrole au Congo » – Papco – s’appuie sur une méthodologie participative inspirée de l’économie institutionnelle : l’inclusion d’acteurs hétérogènes vise à réduire l’asymétrie d’information et à favoriser la convergence des préférences collectives. Dans la lignée de la Beyond Oil and Gas Alliance, l’initiative ambitionne de conjuguer décarbonation, justice sociale et stabilité macroéconomique.
Un projet Papco façonné par la société civile
Porter la réflexion hors du huis clos technocratique constitue l’un des acquis les plus visibles du rendez-vous de juin 2025. Christian Mounzéo, président de la RPDH, rappelle à l’auditoire que « la transition est d’abord une affaire citoyenne, parce que ses effets irriguent le quotidien des ménages, de la tarification de l’électricité à l’emploi des jeunes diplômés ». Son plaidoyer, salué par des applaudissements mesurés, renoue avec une tradition congolaise du dialogue public-privé inaugurée dès les forums de la Conférence nationale souveraine.
La présence de chefs de village côtiers, parfois sceptiques face aux promesses des hydrocarbures, donne un relief particulier aux échanges. Les témoignages sur l’érosion côtière ou la salinisation des sols, corroborés par les monographies de l’Université Marien-Ngouabi, étayent le diagnostic environnemental. Ils nourrissent en parallèle la réflexion stratégique de l’administration, soucieuse de maintenir la cohésion sociale tout en attirant des investisseurs dans les filières vertes.
Le dilemme macroéconomique d’une rente déclinante
Avec plus de 50 % des recettes budgétaires encore indexées aux exportations de brut (Ministère des Finances, 2024), la réduction progressive de la production soulève une interrogation centrale : comment compenser la perte de devises sans compromettre la trajectoire de la dette ? Les économistes du Trésor congolais, appuyés par des projections du FMI, insistent sur la nécessité d’un calendrier réaliste et séquencé. Une contraction abrupte de la rente risquerait de mettre sous tension le financement des infrastructures et le service social minimal.
Le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, invité en tant qu’observateur, souligne l’importance de la discipline budgétaire et de la modernisation fiscale. La révision du code des investissements, en préparation, devrait renforcer les incitations aux secteurs agro-industriels et numériques afin de diluer le poids du pétrole tout en sécurisant les équilibres externes.
Diversifier sans brusquer : pistes sectorielles
Parmi les filières mises en avant, le gaz associé et le bois transformé figurent en tête de liste. L’argument est double : valoriser des ressources déjà présentes pour limiter l’effort de capital initial, puis catalyser un transfert de compétences vers les énergies renouvelables. La société Coraf illustre cette dynamique en expérimentant des unités de captage de méthane destiné aux centrales mixtes de Djeno, quand la Zone économique spéciale de Pointe-Noire s’ouvre à des assemblages photovoltaïques. Ces projets pilotes, encore modestes, témoignent néanmoins d’une volonté politique de préparer le terrain réglementaire.
Le secteur agricole n’est pas en reste. L’Agence nationale de développement rural avance que chaque point de pourcentage de croissance dans l’agro-transformation pourrait créer cinq mille emplois directs, un ratio significatif pour un pays dont plus de la moitié de la population a moins de trente ans (PNUD, 2023). Les discussions mettent aussi en avant le tourisme éco-culturel, valorisant la mosaïque de parcs transfrontaliers, afin de capter des flux financiers complémentaires tout en renforçant la diplomatie de voisinage.
Vers une gouvernance inclusive de la transition
Les deux journées de travaux débouchent sur un compromis prudent. Une « pré-feuille de route » énumère les jalons d’ici 2030 : consolidation d’un cadre réglementaire incitatif, création d’un fonds souverain vert alimenté par les revenus résiduels du brut, déploiement d’infrastructures intelligentes pour faciliter l’intégration régionale des réseaux électriques. Elles affirment également le principe d’une évaluation participative annuelle, reflétant la nouvelle culture de reddition de comptes encouragée par le gouvernement.
Si l’on ne saurait sous-estimer les défis – volatilité des cours, besoins de capitaux lourds, vulnérabilités climatiques –, la table-ronde de Pointe-Noire remet au centre l’idée qu’une transition maîtrisée n’est pas une renonciation, mais une reconfiguration stratégique. Le Congo-Brazzaville dispose d’atouts : un capital humain en cours de qualification, une position géographique avantageuse et un cadre diplomatique tourné vers la coopération sud-sud. La tâche consiste désormais à convertir ces potentialités en indicateurs tangibles, à l’heure où chaque baril extrait rappelle la finitude d’un cycle économique.