Rabat, nouveau carrefour de la diplomatie électorale
En moins de trois ans, la capitale marocaine s’est imposée comme un lieu de passage obligé pour les praticiens du monitoring électoral africain. Depuis le lancement, en juin 2022, du cycle de formation conçu conjointement par le Royaume et le Département des affaires politiques, paix et sécurité de la Commission de l’Union africaine, plus de trois cents observatrices et observateurs ont reçu une certification considérée, dans les chancelleries, comme un sésame pour les missions de court ou de long terme. Au-delà de la symbolique, Rabat capitalise sur son positionnement géopolitique de pont entre Maghreb, Sahel et Afrique de l’Ouest pour offrir une infrastructure académique – celle de l’Université Mohammed VI Polytechnique – capable d’accueillir un public paneuropéen et panafricain dans des conditions logistiques à la fois sécurisées et technologiquement avancées.
Une coopération Sud-Sud à géométrie variable
Le rapport semestriel présenté par le président de la Commission de l’UA, Mahmoud Ali Youssouf, lors de la 1288e réunion du Conseil paix et sécurité, souligne la nature exemplaire de ce partenariat. Il en rappelle la logique de solidarité, loin de tout schéma vertical classique Nord-Sud, et insiste sur la contribution croissante des États africains eux-mêmes au financement du programme. Le coût d’un module, estimé par des experts à environ dix mille dollars par participant, est aujourd’hui couvert à près de soixante pour cent par des lignes budgétaires intra-africaines, indicateur d’appropriation continentale. Le soutien politique constant de plusieurs chefs d’État, parmi lesquels Denis Sassou Nguesso, réputé pour plaider en faveur de la prévention des crises électorales dans les tribunes multilatérales, conforte cette appropriation et réduit la dépendance à l’égard des bailleurs externes.
Le continuum formation-déploiement sur le terrain
La quatrième édition, tenue du 22 au 25 avril 2025, a conduit à la certification de cent vingt participantes et participants issus de cinquante-deux pays, portant l’effectif total à plus de trois cents. Les responsables du programme insistent sur la méthodologie immersive : jeux de rôle, simulations en réel dans des bureaux de vote reconstitués et exercices de rédaction de rapports conformes aux standards internationaux. À l’issue de la session, l’UA dispose d’une base actualisée de compétences immédiatement mobilisables. Ainsi, lors des scrutins présidentiels récents au Botswana et législatifs aux Seychelles, plus d’un tiers des déployés étaient diplômés du “Rabat track”, signe d’un continuum cohérent entre formation et terrain.
Dimension genre et montée en puissance des jeunes
La question de la représentativité demeure au cœur du dispositif. Sur les trois cents certifiés, cent soixante-quinze sont des femmes, indicateur que le rapport met en exergue pour illustrer un tournant inclusif. L’appel à l’action de Rabat, issu d’un séminaire parallèle consacré au leadership féminin, réclame notamment l’instauration de quotas de genre dans les organes électoraux et l’allocation de budgets spécifiques à la sécurité des observatrices sur le terrain. Par ailleurs, l’implication de jeunes défenseurs des droits humains, souvent formés dans des universités d’Afrique centrale, ouvre des perspectives de renouvellement générationnel tout en consolidant la durabilité des savoir-faire.
Une gouvernance électorale en quête de continentalisation
Au plan institutionnel, la multiplication de cadres juridiques régionaux – Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance – nécessite des experts capables d’interpréter des normes parfois divergentes. Le curriculum de Rabat inclut désormais un module consacré à l’harmonisation normative, animé par des juristes venus d’Afrique australe et d’Afrique centrale. Dans les cercles diplomatiques, l’initiative est perçue comme un embryon de “barreau électoral africain” susceptible, à terme, de contribuer aux arbitrages électoraux transfrontaliers.
Perspectives congolaises et enjeux d’intégration régionale
Le Congo-Brazzaville, pays dont la tradition d’observation électorale s’est renforcée depuis la présidentielle de 2021, apparaît comme un bénéficiaire net du dispositif. Plusieurs cadres de la Commission nationale électorale indépendante ont suivi la formation de Rabat et ont, depuis, participé à des missions UA au Cap-Vert et en Namibie. Des entretiens réalisés auprès d’eux décrivent une montée en compétence qui se répercute sur la crédibilité des consultations nationales. Dans un contexte sous-régional marqué par la recherche de stabilité politique, la disponibilité d’agents neutres et formés constitue un atout diplomatique, en particulier pour les États qui, tels que le Congo, ambitionnent de jouer un rôle de médiation lors des cycles électoraux sensibles dans la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
L’avenir du programme dépendra toutefois de sa capacité à conserver un financement autonome et à diversifier ses sites, l’option d’un hub complémentaire à Brazzaville étant évoquée selon des sources proches de la Commission de l’UA. Une telle délocalisation renforcerait la symbolique d’appropriation continentale, tout en consolidant les passerelles Sud-Sud prônées par le président de la Commission et soutenues par plusieurs capitales, dont Rabat et Brazzaville.