Un retrait inattendu de Lukoil
L’annonce, lundi 27 octobre, par Lukoil d’un projet de cession de tous ses actifs hors de Russie a sonné comme un coup de tonnerre sur le marché mondial du pétrole, où le groupe était devenu un intervenant significatif depuis deux décennies.
Dans un communiqué sobre, la direction du géant explique vouloir se recentrer sur le territoire russe, une décision présentée comme « cohérente avec l’environnement réglementaire actuel » et dictée par les sanctions occidentales consécutives au conflit russo-ukrainien.
Portefeuille africain et enjeux géologiques
Pour l’Afrique, l’annonce signifie un retrait progressif des participations que Lukoil possède au Nigeria, au Ghana, en Égypte et, surtout, au Congo-Brazzaville où le groupe détient 25 % du bloc offshore Marine XII, développé depuis plusieurs années par l’italien ENI.
Marine XII, situé au large de Pointe-Noire, est devenu au fil du temps l’un des gisements les plus dynamiques du pays, illustrant la politique de diversification des partenaires prônée par les autorités congolaises pour maximiser les retombées locales de l’industrie pétrolière.
Selon les données internes publiées cette année, l’ensemble du portefeuille africain représente entre 15 et 20 % de la production globale de Lukoil, un ratio rarement atteint par les majors occidentales sur une zone encore réputée risquée.
Partenariats existants sous pression
Le retrait envisagé va donc libérer des actifs déjà évalués, dotés d’infrastructures existantes et d’autorisations administratives, autant d’atouts que peuvent convoiter de nouveaux entrants, qu’ils soient compagnies nationales africaines ou groupes internationaux en quête de croissance externe.
À Brazzaville, des sources industrielles saluent un « réalignement stratégique » ouvrant la porte à une montée au capital de partenaires historiques, à commencer par la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), déjà présente sur Marine XII aux côtés d’ENI et de Lukoil.
Un responsable proche du dossier juge qu’« une reprise par l’État congolais, directement ou via la SNPC, renforcerait la souveraineté énergétique et garantirait la pérennité des emplois locaux créés depuis le lancement du champ ». Les discussions formelles n’ont toutefois pas encore débuté.
Au Nigeria et au Ghana, le retrait russe pose un défi différent parce qu’il touche des blocs encore en phase de développement, comme OPL 245 ou Deepwater Cape Three Points, nécessitant des capitaux frais et une base technologique solide pour atteindre le plateau de production.
Calendrier et valorisation des actifs
Lukoil ne précise pas le calendrier de sortie ni la valorisation attendue, mais les banquiers spécialisés estiment que l’ensemble du portefeuille africain pourrait approcher trois milliards de dollars, selon les dernières transactions comparables publiées dans la région au cours des douze derniers mois.
Du côté des partenaires européens, le groupe ENI a indiqué « analyser toutes les options » pour préserver la stabilité des opérations, rappelant que Marine XII fournit aujourd’hui une partie de la production gazière transformée en GNL à travers la plateforme flottante Tango FLNG installée à Pointe-Noire.
Les sanctions financières imposées à Lukoil depuis février 2022 restreignent son accès aux technologies de forage de pointe, aux services des majors parapétrolières et au financement en devise, rendant la maîtrise d’actifs éloignés plus coûteuse et, finalement, moins stratégique pour Moscou.
Stabilité opérationnelle au Congo
Dans ce contexte, le gouvernement congolais insiste sur la continuité des opérations. « Aucune interruption n’est à prévoir, les obligations contractuelles demeurent », souligne un cadre du ministère des Hydrocarbures, qui se dit confiant dans la capacité des opérateurs à trouver un accord équilibré.
Les observateurs soulignent que la production congolaise a dépassé récemment les 300 000 barils par jour, un niveau qui consolide la place du pays parmi les cinq producteurs subsahariens, et que l’arrivée d’un nouvel actionnaire pourrait renforcer cet élan sans bouleverser l’équilibre budgétaire.
Dans l’immédiat, les contrats de service restent pleinement exécutés par les filiales locales de Lukoil, lesquelles doivent toutefois préparer la transmission de données techniques et de personnel vers le futur acquéreur, sous l’œil vigilant des régulateurs de chaque pays.
Les analystes rappellent que, même amputé de sa participation russe, le partenariat entre ENI et la SNPC demeurera le pilier du projet Marine XII. L’enjeu principal porte désormais sur le financement des prochaines phases, notamment l’accélération de la production de gaz associé.
Vers une nouvelle ère énergétique
Au-delà du cas Lukoil, la reconfiguration en cours révèle une tendance de fond : la quête d’une plus grande autonomie énergétique des États africains et le glissement progressif des capitaux russes vers des zones où ils encourent moins de contraintes réglementaires.
Pour Brazzaville, l’épisode confirme surtout la pertinence d’une stratégie d’ouverture équilibrée, combinant investisseurs internationaux et présence renforcée de la SNPC, afin de sécuriser recettes, transfert de compétences et stabilité macroéconomique dans un contexte mondial toujours volatil.
La négociation à venir autour de Marine XII constituera donc un test grandeur nature pour la capacité du Congo-Brazzaville à lever des financements compétitifs, tout en continuant à défendre ses intérêts souverains et les engagements environnementaux pris sur la scène internationale.
 
									 
					
