Diplomatie active à Abidjan
Dans les jardins feutrés du palais présidentiel d’Abidjan, Denis Sassou N’Guesso a profité de la prestation de serment de son homologue ivoirien pour orchestrer une séquence diplomatique discrète mais dense. Entre poignées de main et apartés, le président congolais a placé ses priorités continentales.
Première étape, un tête-à-tête avec Joseph Boakai, nouveau locataire du palais d’Executive Mansion à Monrovia. Les deux hommes ont ausculté l’état d’une relation jusque-là essentiellement symbolique, convenant de la transformer en partenariat structuré et porteur d’avantages mutuels.
Vers un partenariat Congo-Liberia solide
Selon un diplomate présent, Brazzaville et Monrovia envisagent une réunion ministérielle conjointe dès que les agendas le permettront. Objectif affiché : identifier des secteurs pilotes – agriculture, formation, services numériques – et fixer des jalons mesurables afin d’éviter l’engluement des protocoles sans suites.
La conversation s’est aussi nourrie de la doctrine congolaise de coopération Sud-Sud. Pour Denis Sassou N’Guesso, renforcer les échanges intra-africains constitue « un amortisseur face aux turbulences mondiales », confie un proche. Le Liberia acquiesce, conscient que la complémentarité atténue la dépendance extérieure.
Au-delà des mots, les deux présidents envisagent d’articuler leurs politiques portuaires. Brazzaville développe le corridor Pointe-Noire-Ouesso, tandis que Monrovia modernise Freeport. Un couplage logistique offrirait aux opérateurs privés une fenêtre intégrée sur l’Atlantique, à coût réduit et sous conformité régionale.
Crises africaines : l’option dialogue
Les crises politiques qui secouent certaines capitales africaines ont naturellement surgi dans l’échange. Congolais et Libériens plaident pour le dialogue, outil jugé moins coûteux que l’immobilisme ou l’aventure armée. « Préserver le contrat social demeure la première des sécurités », rappelle un ministre congolais.
Sécurité régionale et lutte antiterroriste
La menace terroriste, elle, concentre les inquiétudes. Des bandes sahéliennes aux cellules dormantes du golfe de Guinée, le spectre d’une propagation sudiste alarme. Brazzaville et Monrovia envisagent des échanges de renseignement et un appui mutuel à la formation des forces spéciales.
Retrouvailles avec Nana Akufo-Addo
À Abidjan, Denis Sassou N’Guesso a ensuite reçu Nana Akufo-Addo, ancien président du Ghana, resté une voix écoutée sur la scène ouest-africaine. Leurs échanges, réputés chaleureux, ont passé en revue près de soixante ans de coopération et les perspectives d’une relance post-Covid.
Les deux hommes ont notamment évoqué la Banque africaine de l’énergie, projet né lors du sommet de Brazzaville en 2022. Cette institution, dont la capitale congolaise souhaite accueillir le siège, entend mobiliser l’épargne régionale pour sécuriser les investissements dans l’électricité et les hydrocarbures.
Pour Brazzaville, le Ghana constitue un partenaire d’autant plus précieux que son mix énergétique, largement hydraulique et gazier, offre des retours d’expérience adaptés aux ambitions de la République du Congo. Des équipes techniques devraient être dépêchées afin d’actualiser les protocoles signés en 1964.
Une méthodologie diplomatique pragmatique
Ces séquences illustrent la méthode Sassou N’Guesso : capitaliser sur les rencontres institutionnelles pour tisser une toile d’alliances pragmatiques. Le format bilatéral permet de contourner les lenteurs communautaires tout en préparant, à terme, des convergences au sein de la Communauté économique des États d’Afrique centrale.
Les observateurs notent toutefois qu’une volonté politique ferme ne suffira pas : il faudra des budgets, des chronogrammes et un suivi évaluatif. Le ministre congolais des Affaires étrangères promet un tableau de bord trimestriel, accessible aux deux présidences et aux partenaires financiers.
À Monrovia comme à Accra, l’idée d’une diplomatie des résultats trouve un écho favorable. Un conseiller libérien imagine déjà des joint-ventures agro-industrielles adossées au bassin de la Sangha, tandis qu’un expert ghanéen vante l’intérêt d’interconnecter les réseaux électriques pour stabiliser l’offre régionale.
Impliquer les acteurs locaux
Reste la question, plus politique, de l’appropriation citoyenne. Brazzaville entend multiplier les forums économiques pour associer chambres de commerce, jeunesse entrepreneuriale et société civile. « Nos accords doivent parler au quotidien des populations », insiste un responsable de la primature, plaidant pour une communication inclusive.
À court terme, la tenue de la première réunion ministérielle Congo-Liberia fera figure de test. Convoquée à Brazzaville, elle devra produire une feuille de route assortie de délais. Son succès renforcerait la crédibilité des engagements pris à Abidjan et ouvrirait la voie à d’autres partenariats.
Renforcer le rôle du Congo-Brazzaville
En cultivant un réseau de complicités africaines, Denis Sassou N’Guesso cherche à conforter la place du Congo-Brazzaville dans le jeu régional sans s’opposer à quiconque. L’option du consensus, qu’il soit politique ou sécuritaire, s’impose comme la boussole de cette diplomatie de terrain.
Axe forestier et opportunité climatique
La présidence congolaise souligne également l’opportunité d’un partage d’expertise en matière de gestion forestière. Avec 22 millions d’hectares de forêts, le Congo peut proposer au Liberia et au Ghana un savoir-faire certifié sur les chaînes de valeur durables et la surveillance satellitaire des coupes illégales.
D’ici la fin de l’année, un atelier tripartite pourrait se tenir à Ouesso pour harmoniser les normes et attirer des financements climatiques. Les partenaires entendent ainsi démontrer que la diplomatie économique s’accompagne d’un bénéfice écologique direct, au service des communautés riveraines.
Abidjan, point de départ
À Abidjan, le temps a manqué, mais la volonté semble intacte.
