À Vindoulou, la poussière est retombée… pas la peur
Les gravats de l’usine Metssa Congo, suspendue par décret ministériel en juin 2024 pour « risque avéré pour la santé humaine et l’environnement », gisent désormais à l’abri des regards derrière un portail rouillé. Sur la route nationale 1 reliant Pointe-Noire à Brazzaville, seules quelques bâches bleues rappellent l’activité fébrile qui, depuis 2013, transformait les plaques de batteries automobiles en lingots de plomb destinés au marché international. Le calme apparent n’a pourtant rien d’un soulagement pour les familles de Vindoulou. « Nous savons que nous sommes empoisonnés », lance Cyrille Traoré Ndembi, président d’un collectif de riverains interrogé par RFI. L’écho de son inquiétude parcourt la zone périurbaine, où la rumeur de maladies inexpliquées a remplacé le vrombissement des broyeurs.
Des analyses alarmantes et un silence institutionnel
En avril 2023, des prélèvements sanguins réalisés sous l’égide d’Amnesty International révélaient des concentrations de plomb allant jusqu’à quatorze fois le seuil d’alerte de l’Organisation mondiale de la santé. Selon le Dr Jean-Marc Ondongo, toxicologue à l’Université Marien-Ngouabi, « de tels niveaux exposent les enfants à des déficits cognitifs irréversibles et les adultes à des risques cardiovasculaires accrus ». Malgré l’onde de choc médiatique, les autorités congolaises n’ont mandaté qu’une inspection environnementale discrète, conclue par la suspension provisoire de l’usine un an plus tard. Depuis, aucun programme systématique de dépistage n’a vu le jour, tandis que l’entreprise, filiale d’un holding basé à Dubaï, reste injoignable.
L’engrenage juridique d’un investissement étranger
Le dossier Metssa illustre la tension entre l’impératif de diversification économique du Congo et la protection de l’environnement. Abrité par une zone économique spéciale, le site bénéficiait d’exonérations fiscales et d’un régime douanier préférentiel. « Les clauses de stabilité contenues dans l’accord d’établissement limitent la marge de manœuvre de l’État pour imposer de nouvelles exigences sanitaires », reconnaît, sous couvert d’anonymat, un haut fonctionnaire du ministère des Mines. Le Code congolais de l’environnement de 2019 prévoit pourtant l’obligation d’une étude d’impact indépendante et la constitution d’un fonds de dépollution. Dans les faits, ces dispositions sont restées lettre morte, faute de mécanismes de suivi et de garanties financières exigibles.
Saturnisme : une urgence de santé publique occultée
Le plomb constitue, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, la cause de 900 000 décès prématurés annuels dans le monde. Au Congo, aucune statistique nationale n’existe, mais les données hospitalières de Pointe-Noire font état d’une augmentation de 18 % des anémies inexpliquées chez l’enfant depuis 2020. Pour le Pr Adèle Mabiala, pédiatre, l’absence de dépistage massif « laisse la moitié de l’iceberg sous l’eau ». Les traitements chélateurs, coûteux et longs, ne sont disponibles qu’au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville, à plus de 500 km de Vindoulou. « Faute de prise en charge, le handicap social et scolaire guette une génération entière », prévient-elle.
Responsabilités et compensations : l’impasse des victimes
Le collectif de riverains, épaulé par des ONG locales, envisage une action civile contre Metssa sur le fondement du préjudice écologique reconnu par la loi congolaise depuis 2022. La tâche s’annonce ardue. La maison-mère, Metssa Group FZE, est enregistrée à Ras Al-Khaimah, juridiction réputée pour la confidentialité de ses registres. L’activation éventuelle de la Convention de Bâle sur les déchets dangereux pourrait fournir un levier diplomatique, mais elle suppose la coopération des Émirats arabes unis, peu enclins à entacher leur image d’« hub vert » du Golfe.
Du côté de Brazzaville, le discours officiel oscille entre la défense de la sécurité juridique des investisseurs et l’affirmation d’une « tolérance zéro » pour les pollueurs. Lors d’une séance de questions à l’Assemblée nationale en février dernier, la ministre de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, a annoncé la création d’un comité interministériel chargé de « proposer des modalités de dépollution et de compensation ». Depuis, aucune feuille de route n’a été rendue publique.
Vers une diplomatie du recyclage responsable ?
L’affaire Metssa intervient alors que l’Union africaine prépare un cadre continental sur la gestion des déchets électroniques. À Addis-Abeba, plusieurs délégations plaident pour une certification régionale des recycleurs et un fonds d’indemnisation financé par les importateurs de batteries. Le Congo, pour l’heure, observe. « Cette crise pourrait devenir une opportunité si Brazzaville s’érige en champion de la vigilance environnementale », estime le chercheur camerounais Achille Mboko du think-tank ECDPM. Reste à convaincre un appareil d’État déjà sollicité par les urgences budgétaires et sécuritaires.
Pour les habitants de Vindoulou, l’agenda diplomatique a toutefois le goût amer de l’attente. Sous le manguier qui jouxte l’ancienne fonderie, les enfants continuent de jouer dans une poussière que la saison sèche porte au gré du vent. La poussière est sans odeur, mais elle raconte à sa manière le prix réel d’un plomb congolais exporté à bon compte.