Un modèle entrepreneurial sous les projecteurs
Au cœur des rues animées de Brazzaville, la trajectoire de la startup Noki-Noki avait tout d’un récit inspirant. En quelques saisons, deux modestes motos se sont muées en flotte régionale, incarnant l’espoir d’une économie numérique capable de créer emplois et mobilité sociale.
Le fondateur, Jonathan Yanghat, jeune informaticien formé à Oyo, se voyait régulièrement invité dans des forums consacrés à l’innovation africaine. Son discours, alliant pragmatisme logistique et patriotisme économique, résonnait auprès d’une génération avide de références locales pour nourrir son imaginaire entrepreneurial.
Des levées de fonds annoncées à hauteur de deux millions de dollars, un déploiement au Cameroun puis en Côte d’Ivoire, tout semblait indiquer que Noki-Noki s’imposait comme symbole d’une Afrique centrale connectée, portée par la confiance des investisseurs et l’expertise croissante de ses talents.
Détournement présumé et mode opératoire
La scène a brusquement changé lorsque la Banque centrale et la Cellule de renseignement financier ont signalé des mouvements atypiques sur plusieurs comptes de la BGFI Bank. Les enquêteurs ont remonté la piste jusqu’à Ferida Mbonzo, employée de la banque et partenaire de Jonathan Yanghat.
Selon les premières auditions, plus d’un milliard de francs CFA auraient été transférés, par petites tranches, vers des structures liées à la jeune pousse. Le mécanisme passait par des virements internes, puis par des sociétés écrans qui finançaient l’expansion de Noki-Noki dans la sous-région.
Le couple a été placé en détention provisoire à Brazzaville, tandis qu’une assistante administrative de la startup, mentionnée dans les ordres de virement, est également interrogée. L’instruction cherche à déterminer le rôle précis de chaque protagoniste et le degré de connaissance des circuits financiers incriminés.
Pour plusieurs analystes, cette affaire illustre les risques de collusion entre nouvelles entreprises en quête de capitaux rapides et employés bancaires disposant d’un accès privilégié à l’information confidentielle. Le phénomène n’est pas inédit, mais il gagne ici une ampleur rarement observée sur le marché congolais.
La riposte institutionnelle de la BGFI Bank
Le 30 août 2025, la direction de la BGFI Bank Congo publie un communiqué ferme et rassurant. Le texte martèle que les actes reprochés sont personnels et ne sauraient ternir la solidité d’un établissement présent depuis trois décennies.
La banque insiste sur l’indépendance des contrôles internes, citant des audits réguliers supervisés par la Commission bancaire de l’Afrique centrale. Elle rappelle également que l’employée mise en cause est majeure et responsable, soulignant que toute dérive individuelle sera poursuivie devant les juridictions compétentes sans égard au rang familial.
Soucieuse de préserver la confiance, la banque réaffirme son soutien à son président Jean-Dominique Okemba. Le communiqué décrit sa rigueur et assure qu’aucun élément ne suggère une défaillance dans l’exercice de ses fonctions de supervision.
Parallèlement, la BGFI Bank dit travailler étroitement avec les autorités judiciaires et le régulateur pour geler les flux détectés. Elle se présente comme partie civile, déterminée à recouvrer les montants détournés et à renforcer encore ses protocoles de protection des dépôts.
Enjeux de gouvernance financière au Congo-Brazzaville
Cet épisode relance le débat national sur la gouvernance des institutions financières, déjà encouragé par les orientations du gouvernement en faveur de la transparence économique. La Société congolaise d’éthique et de sociologie financière estime que la perception du risque systémique demeure faible auprès du grand public.
Pour l’économiste Aurélien Bouity, une mise à niveau continue des contrôles exige non seulement des ressources technologiques, mais aussi une culture du signalement interne. Il rappelle que la loi congolaise protège les lanceurs d’alerte, initiative saluée par plusieurs partenaires au développement et par la Banque mondiale.
Le ministère congolais des Finances, avec la Banque des États de l’Afrique centrale, promeut depuis 2024 un programme de certification antimblanchiment pour les cadres bancaires. Le cas BGFI servira de test pour la robustesse de ces modules.
Confiance des usagers et perspectives
Sur le terrain, les clients interrogés devant les agences affirment pour la plupart avoir maintenu leurs dépôts, convaincus que la solidité de la banque repose sur des ratios de liquidité confortables et sur l’appui institutionnel dont bénéficie le secteur financier congolais.
Certains observateurs évoquent néanmoins un besoin accru de pédagogie auprès des petites et moyennes entreprises, principales utilisatrices des services numériques. Ils encouragent la diffusion de guides simplifiés expliquant la réconciliation de comptes et la vérification régulière des relevés, gestes essentiels pour une inclusion financière durable.
Tandis que la procédure judiciaire suit son cours, beaucoup retiennent la résilience du cadre réglementaire national, qui permet de détecter puis de traiter ces dérives sans remettre en cause la dynamique d’innovation. Au-delà du fait divers, c’est donc la maturité croissante de l’écosystème congolais qui retient l’attention.
Les spécialistes prévoient que l’affaire déclenchera de nouveaux standards de conformité destinés à concilier innovation numérique et surveillance bancaire, renforçant ainsi la réputation de Brazzaville comme hub financier régional aligné sur les pratiques internationales.