Une passerelle sino-africaine au cœur de Shanghai
La Chambre africaine de l’énergie a inauguré un bureau international dans le quartier financier de Pudong. Symboliquement, Shanghai devient la première antenne asiatique de l’organisation panafricaine, déjà active à Johannesburg, Dakar et Londres.
Selon l’institution, l’objectif est de « faire d’un continent exportateur de matières premières un véritable moteur de chaînes de valeur énergétiques ». L’accent est mis sur la création d’un réseau global où les producteurs africains participent aux décisions stratégiques.
La représentation est dirigée par le Dr Bieni Da, universitaire congolais formé à Wuhan puis à Paris. Il pilotera les échanges entre compagnies chinoises, gouvernements africains et bailleurs de fonds, fort d’un carnet d’adresses couvrant banques, provinces et fonds souverains.
L’initiative s’inscrit dans un contexte où l’Afrique doit combler un déficit annuel de financement énergétique estimé entre 31 et 50 milliards de dollars. Parallèlement, les groupes chinois cherchent de nouveaux débouchés à l’étranger pour leurs capacités financières et technologiques.
En s’appuyant sur les instruments de la Nouvelle Route de la soie, Pékin favorise déjà ports, chemins de fer et centrales électriques. Le bureau de Shanghai entend insérer l’énergie dans cette dynamique tout en laissant aux États africains la maîtrise de leurs priorités.
Capitaux chinois, besoins africains
Le continent affiche la croissance démographique la plus rapide du monde. D’ici 2040, la consommation d’électricité africaine pourrait tripler. Sans investissements massifs, le risque de pénurie se double d’un frein au développement industriel.
Les grandes banques commerciales chinoises et la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures se disent prêtes à financer des portefeuilles combinant pétrole, gaz et renouvelables, à condition de garanties solides et d’une gouvernance clarifiée.
Le Dr Bieni Da compte structurer des véhicules de co-investissement en yuans, dollars et monnaies locales pour limiter l’exposition au risque de change. Les premiers projets pilotes devraient être annoncés lors du Forum sino-africain de 2025.
Parallèlement, l’AEC plaide pour des montages intégrant des obligations vertes. L’idée est de montrer que la production d’hydrocarbures peut coexister avec des programmes de réduction de torchage, d’électrification rurale et de reboisement.
En facilitant l’accès aux guichets chinois, le nouveau bureau veut accélérer la clôture financière d’une vingtaine de projets actuellement bloqués faute de capitaux, du solaire sahélien aux pipelines côtiers.
Le Congo-Brazzaville en première ligne
Au Congo-Brazzaville, la société chinoise Wing Wah développe l’extension du gisement de Bango Kayo, un investissement évalué à deux milliards de dollars. Le projet vise à valoriser des gaz jusqu’ici torchés et à les orienter vers le marché domestique.
La première unité, déjà opérationnelle, traite un million de mètres cubes par jour. Deux trains supplémentaires, prévus pour 2025, porteront la capacité à cinq millions de mètres cubes, renforçant la sécurité énergétique du pays.
Cette montée en puissance cadre avec le Plan national de développement 2022-2026, qui fait de la transformation locale des ressources un levier de croissance. Les autorités encouragent des contrats gagnant-gagnant, combinant fiscalité stable et contenu local accru.
Le gouvernement soutient aussi la formation technique. Une quarantaine d’ingénieurs congolais effectueront des stages à Shenzhen sur les procédés de raffinage bas carbone, avant de rejoindre les sites de Pointe-Noire.
Au-delà de l’amont pétrolier, Brazzaville explore des partenariats pour des usines d’engrais et des centrales à gaz. Les discussions portent sur des financements mixtes associant banques chinoises et fonds régionaux d’infrastructures.
Des partenariats techniques à haute valeur ajoutée
La coopération ne se limite pas aux flux financiers. Le bureau de Shanghai souhaite ouvrir l’expertise chinoise en intelligence artificielle aux régulateurs africains pour optimiser la gestion des réseaux électriques.
Les entreprises offshore de Chine maîtrisent désormais les forages en eaux très profondes. Cette compétence intéresse l’Angola et le Mozambique, mais aussi le Congo, dont la zone maritime recèle des gisements encore peu explorés.
Dans le solaire, les fabricants chinois proposent des panneaux double-verre adaptés aux climats tropicaux humides. Des bancs d’essai seront installés à Kintélé pour valider leur durabilité et former des techniciens locaux.
Le segment des véhicules électriques suscite également de l’enthousiasme. Des discussions sont avancées pour assembler des motos électriques à Brazzaville, destinées aux services de livraison urbains.
Enfin, plusieurs provinces chinoises envisagent de délocaliser des unités de production de compteurs intelligents, créant des emplois transformant la seule extraction en véritable industrie.
Forum et diplomatie économique continue
L’AEC annonce une série d’investissements forums annuels à Shanghai, positionnant la mégapole comme carrefour des décideurs africains de l’énergie. Le premier rendez-vous est prévu pour mars 2024, avec une délégation ministérielle congolaise.
Ces rencontres réuniront compagnies nationales, majors internationales, start-up technologiques et banques de développement. L’objectif est de passer des annonces concrètes plutôt que des déclarations d’intention.
Plus de cinquante projets seront examinés, dont des parcs éoliens côtiers au Ghana, des terminaux méthaniers au Sénégal et une extension du réseau électrique urbain de Brazzaville.
Les investisseurs saluent déjà la stabilité institutionnelle affichée par plusieurs États, un facteur souvent cité par les analystes comme essentiel pour catalyser les flux de capitaux à long terme.
La Chambre africaine de l’énergie rappelle cependant que la transparence contractuelle demeure indispensable pour maintenir la confiance et éviter les retards qui ont parfois freiné des chantiers stratégiques.
Perspectives régionales partagées
Au-delà des contrats, l’enjeu reste l’éradication de la pauvreté énergétique qui touche encore près de 600 millions d’Africains. La coopération sino-africaine offre des synergies uniques pour relever ce défi.
En combinant financement asiatique, ressources africaines et main-d’œuvre locale, les parties peuvent créer de l’emploi et transférer des savoir-faire tout en respectant les engagements climatiques pris à Glasgow.
Les États africains, dont le Congo, insistent sur l’importance du contenu local. L’accord-cadre signé à Shanghai inclut des clauses visant à porter la part de fournisseurs nationaux à 30 % des dépenses.
Pour NJ Ayuk, président exécutif de l’AEC, « il s’agit de passer d’une relation d’acheteur-vendeur à un partenariat industriel complet ». Les acteurs souhaitent ainsi construire des filières pérennes dans le raffinage, la pétrochimie et l’hydrogène vert.
En ouvrant sa vitrine à Shanghai, la Chambre africaine de l’énergie matérialise cette ambition, offrant au Congo-Brazzaville et au continent un tremplin vers une prospérité partagée, fondée sur l’énergie, la technologie et la confiance mutuelle.