Maya-Maya, porte d’entrée d’une odyssée numérique
Au crépuscule d’un dimanche de juillet, la salle d’arrivée de l’aéroport Maya-Maya bruissait d’une effervescence inhabituelle. Derrière la silhouette rassurante des familles venues accueillir les leurs, cinq lycéens et deux enseignants, encore vêtus des polos frappés du logo de l’Unesco, savouraient le mélange de fierté et d’épuisement qui couronne toute aventure formatrice. La représentante de l’agence onusienne à Brazzaville, Fatoumata Barry, rappelait d’emblée que « ces sept ambassadeurs du savoir reviennent armés de compétences rares et d’un réseau global ». Au-delà de la solennité protocolaire, l’instant cristallisait l’espoir d’un pays désireux de consolider sa souveraineté numérique par l’investissement humain.
Un programme Unesco-Codemao, matrice d’une excellence partagée
L’initiative, soutenue par le gouvernement congolais, s’inscrit dans la seconde phase du partenariat Unesco-Codemao, après une première immersion jugée prometteuse l’an passé. Codemao, jeune pousse chinoise devenue référence mondiale de l’éducation numérique, développe depuis 2013 des plateformes ludo-éducatives fondées sur la programmation visuelle. Pour l’Unesco, l’association d’une expertise industrielle asiatique et de la diplomatie éducative multilatérale matérialise une stratégie calibrée pour les économies émergentes : tirer parti d’une coopération Sud-Sud afin de contourner le coût souvent prohibitif des transferts technologiques Nord-Sud. Le choix de Shenzhen, laboratoire urbain de l’innovation chinoise, n’est donc pas fortuit : la métropole concentre les fleurons de l’électronique et de l’IA, offrant aux apprenants un environnement stimulant où la recherche appliquée se confond avec l’industrie.
Immersion à Shenzhen : apprentissage machine et pédagogie active
Durant sept jours, la délégation congolaise a alterné cours magistraux et ateliers pratiques centrés sur l’apprentissage machine, les réseaux neuronaux convolutifs, la vision par ordinateur et le traitement automatique du langage. Les formateurs chinois ont privilégié une approche learning by doing : chaque concept théorique était immédiatement mis au défi dans un mini-projet, qu’il s’agisse de classifier des images de plantes médicinales d’Afrique centrale ou de construire un chatbot francophone. Cette immersion intensive s’est doublée de visites de pôles de R&D, révélant aux participants la porosité entre laboratoire et start-up, marqueur identitaire de l’écosystème shenzhenien. « L’atelier final sur la programmation d’un micro-contrôleur open source, relié à des capteurs environnementaux, a fait naître des idées d’applications agricoles pour nos provinces », confie le professeur Chris Moukana, soulignant l’utilité socio-économique des compétences acquises.
Transfert méthodologique et contextualisation congolaise
Au-delà de la technicité, la formation a mis l’accent sur la scénarisation pédagogique. Les enseignants ont disséqué les manuels numériques chinois pour en extraire des modèles reproductibles en classe. L’objectif affiché consiste à édifier, d’ici trois ans, des modules d’introduction à l’IA dans tous les lycées techniques du pays. La priorité sera donnée à l’approche par projet, afin de passer d’une culture scolaire encore majoritairement théorique à une logique expérientielle, jugée plus inclusive et motivante pour les adolescent.e.s. L’Inspection générale de l’éducation nationale, associée au chantier, planche déjà sur l’adaptation des programmes, notamment la traduction en français des interfaces Codemao et l’intégration de données locales pour éviter l’écueil d’un contenu hors-sol.
Enjeux stratégiques : souveraineté numérique et diplomatie du savoir
Cet échange sino-congolais s’inscrit dans un paysage géopolitique où la maîtrise des algorithmes conditionne la compétitivité. Pour Brazzaville, la montée en compétence de sa jeunesse participe à la construction d’une souveraineté numérique cohérente avec les orientations du Plan national de développement 2022-2026. Les décideurs y voient un double dividende : d’une part, doter le marché du travail local de profils technologiques susceptibles d’attirer des investissements directs étrangers, d’autre part, créer une masse critique de formateurs capables de disséminer la culture digitale dans le tissu social. De surcroît, la coopération éducative renforce la diplomatie congolaise en la plaçant dans une dynamique d’alliances horizontales, privilégiant l’échange d’expertise plutôt que l’assistanat, conformément à la rhétorique défendue par de nombreux États africains dans les forums multilatéraux.
Perspectives : capitaliser sur l’élan et pérenniser l’écosystème
Alors que le souvenir de Shenzhen est encore frais, la question de la pérennité se pose. Le ministère de l’Enseignement général a annoncé la création d’un fonds d’amorçage destiné aux clubs de codage, tandis que la Banque congolaise de développement étudie des incitations fiscales pour les entreprises acceptant de parrainer des laboratoires scolaires. L’enjeu consiste désormais à éviter l’effet vitrine : sans déploiement d’infrastructures robustes et sans formation continue des enseignants, l’expérience reste confinée à une élite. Pour l’Unesco, la clé réside dans la mise en réseau des bénéficiaires : un hub virtuel permettra de mutualiser ressources pédagogiques et retours d’expérience. « Il faut transformer la réussite individuelle en dynamique collective », martèle Fatoumata Barry. Dans cette perspective, les sept ambassadeurs de l’IA congolaise ne sont pas une fin en soi mais les premiers maillons d’une chaîne appelée à irriguer l’ensemble du système éducatif, contribuant à ancrer le Congo dans la cartographie mondiale de l’innovation responsable.