Nkayi, nouveau cœur énergétique congolais
Lorsque la sirène retentira le 27 juin sur le site de Nkayi, c’est toute la vallée du Niari qui prendra la mesure du saut technologique opéré par la République du Congo. Avec une capacité quotidienne de 50 m³, la première distillerie d’éthanol du pays est calibrée pour couvrir intégralement une demande nationale évaluée par la direction générale des douanes à 5,5 millions de litres annuels. Les 23 millions d’euros mobilisés depuis 2022 n’ont pas seulement financé un dispositif industriel ; ils ont installé dans la Bouenza une nouvelle matrice de croissance que le gouvernement présente déjà comme « le pilier bioénergétique du Plan national de développement », selon un communiqué du ministère de l’Industrie publié en avril.
Un pari de souveraineté industrielle pour Brazzaville
Depuis dix ans, le Congo importait l’essentiel de son éthanol depuis l’Afrique du Sud et le Brésil, grevant sa balance commerciale de près de 4 millions de dollars par an (données UN Comtrade 2023). En rapatriant la valeur ajoutée sur le territoire, Somdia et son actionnaire Castel participent à la stratégie nationale de substitution aux importations voulue par le président Denis Sassou-Nguesso. « Nous ne pouvons plus dépendre des cargaisons qui franchissent l’Atlantique », confiait récemment la ministre de l’Économie, Ingrid Olivia Ebouka-Babackas, lors d’un forum à Libreville. À moyen terme, 150 emplois directs et un millier de saisonniers devraient être pérennisés autour de la canne à sucre, consolidant une filière sucrière qui concentre déjà 10 % des recettes fiscales agricoles du pays.
Éthanol, moteur discret de la transition énergétique africaine
Le contexte continental est porteur. D’après l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, la production d’éthanol en Afrique a progressé de 12 % en 2023, portée par les politiques de décarbonation des transports. Or, à la différence de l’hydrocarbure, la biomasse constitue une ressource renouvelable dont la transformation locale réduit l’empreinte carbone des chaînes logistiques. En recyclant 25 000 tonnes annuelles de mélasse – résidu jusqu’alors sous-valorisé – Somdia illustre cette économie circulaire que l’Union africaine veut généraliser dans son Agenda 2063. Michel Ngoma, chercheur au Centre d’études et de recherche sur les énergies renouvelables de Pointe-Noire, résume l’enjeu : « Chaque litre d’éthanol produit à Nkayi évite deux kilogrammes d’équivalent CO₂ par rapport à un litre importé ».
Chaînes de valeur régionales et diplomatie économique
Le projet révèle également les dynamiques d’influence qui traversent l’Afrique centrale. En sélectionnant l’ingénieriste indien Praj pour le procédé de distillation, Somdia ouvre la porte à une coopération Sud-Sud qui s’intensifie depuis la visite à New Delhi du président congolais en 2019. L’entreprise française Ponticelli, chargée du montage mécanique, témoigne pour sa part de la persistance des partenariats historiques avec Paris. Sur le plan commercial, l’excédent potentiel d’un demi-million de litres pourrait alimenter demain le corridor CEMAC, offrant à Brazzaville un levier de soft power auprès de ses voisins dépourvus d’unités équivalentes, tels que la RCA et le Gabon.
Risques environnementaux et impératif de durabilité
Cette dynamique ne saurait occulter les inquiétudes des ONG locales. L’Observatoire congolais des droits de la nature redoute une pression accrue sur les ressources hydriques, l’extraction d’un litre d’alcool nécessitant jusqu’à huit litres d’eau selon la Banque mondiale. Somdia assure avoir investi dans un système de recyclage fermé qui réduira de moitié la consommation, tandis qu’une station d’épuration biologique traitera les vinasses, ces résidus acides souvent rejetés dans les rivières. « La crédibilité de l’industrie naissante se jouera sur la rigueur environnementale », avertit Romuald Kodia, consultant indépendant mandaté par l’Union européenne pour auditer le site.
Leçon de gouvernance pour le partenariat public-privé
Enfin, la trajectoire de la distillerie de Nkayi illustre ce qu’un partenariat public-privé équilibré peut offrir à un État émergent. Le foncier reste la propriété de Saris Congo, société née en 1991 du rapprochement entre Somdia et l’État, tandis que l’exploitation de l’alcool sera soumise à une redevance d’accise progressive dont le taux doit être révisé en 2026. La Banque africaine de développement, intéressée par la reproductibilité du modèle, a déjà inscrit le projet sur sa plateforme d’expériences phares destinée aux pays de la CEEAC. En conciliant impératifs budgétaires, exigences sociales et ambitions climatiques, l’usine de Nkayi pourrait bien devenir le pilote régional de la bio-économie, à condition que la gouvernance suive le rythme de distillation.
Une alchimie économique sous haute surveillance
Le premier jet d’éthanol sortira donc des colonnes de distillation à l’orée de la campagne sucrière. Il restera à convertir la performance technique en dividendes économiques durables, dans un paysage régional achevé de recompositions et de convoitises stratégiques. Entre promesse de souveraineté et vigilance écologique, c’est un véritable test de maturité industrielle qui s’ouvre pour le Congo et, au-delà, pour les ambitions bio-énergétiques de l’Afrique centrale.