Une fermeture prolongée qui interroge
Depuis plus d’un an, les portails des stades Alphonse-Massamba-Débat, Municipal de Pointe-Noire et Paul-Sayal-Moukila restent clos. Cette situation surprend nombre d’observateurs, d’autant qu’aucun arrêté officiel ne fixe la durée de la mesure qui immobilise les enceintes phares du pays.
Dans les quartiers populaires, les maillots rouges des Diables Rouges se font plus rares les week-ends. « Le stade, c’était notre deuxième maison », constate Adèle, vendeuse de boissons aux abords de Massamba-Débat. Pour elle, la fermeture pèse à la fois sur ses revenus et sur le moral collectif.
Les enjeux juridiques des concessions
En 2014 et 2016, deux conventions autorisaient la Fédération congolaise de football à exploiter les stades pour vingt ans. Soutenue par la FIFA, l’initiative avait permis la pose de pelouses synthétiques répondant aux normes internationales, un investissement estimé à plusieurs centaines de milliers de dollars.
La Fécofoot invoque aujourd’hui la « caducité » de la note de suspension prise lors d’un épisode contentieux interne, annulé par la Cour d’appel de Brazzaville. Elle plaide pour un retour immédiat au statu quo ante, estimant que le droit n’oppose plus d’obstacle à la reprise des compétitions nationales.
Impact économique sur les clubs et les villes
La paralysie des championnats prive les clubs de billetterie, de partenariats locaux et de droits télévisuels. Selon un directeur financier de Ligue 1, les pertes cumulées atteindraient « près d’un milliard de francs CFA sur la saison écoulée ».
Pointe-Noire, habituée à remplir ses hôtels lors des grands derbies, enregistre également un manque à gagner touristique. Les vendeurs ambulants, les transporteurs et les loueurs de matériel sonore ressentent une contraction d’activité qui, selon la chambre de commerce, affecte plus de quinze mille emplois indirects.
La place du ministère des Sports
Le ministère des Sports affirme privilégier « la sécurité des usagers et la qualité des infrastructures ». Des travaux d’expertise auraient révélé la nécessité de moderniser les gradins et de renforcer les systèmes anti-incendie. « Nous voulons des enceintes dignes des standards CAF et FIFA », souligne un conseiller technique.
Sans remettre en cause les conventions passées, le département ministériel insiste sur l’importance de concilier obligations légales et impératifs financiers. Il rappelle que l’État reste propriétaire des équipements et se doit, à ce titre, de garantir la sûreté des milliers de spectateurs attendus à chaque rencontre.
L’argument sécuritaire et sanitaire
Au-delà des travaux structurels, la pandémie de Covid-19 a modifié les protocoles d’accueil du public. Les tribunes couvertes nécessitent des adaptations pour assurer la distanciation et la ventilation. Plusieurs pays voisins ont opté pour des jauges réduites; le Congo dit vouloir aller plus loin en rénovant ses couloirs d’évacuation.
Les experts en gestion de foule saluent cette prudence. « Un incident dans un stade peut entacher durablement l’image d’un pays organisateur », rappelle l’ingénieur Séraphin Obambi, qui copilote un audit régional des enceintes sportives.
Le positionnement de la Fécofoot
Face aux impératifs gouvernementaux, la Fédération maintient le calendrier international. Les Diables Rouges doivent accueillir les éliminatoires de la Coupe du monde 2026 dès novembre. Sans solution nationale, la sélection serait contrainte d’exiler ses matchs, hypothèse synonyme de coûts supplémentaires et de perte de soutien populaire.
Le président Jean-Guy Blaise Mayolas insiste sur la « nécessité vitale » d’un terrain neutre congolais. Il rappelle que le football demeure un « vecteur d’unité nationale » et qu’une délocalisation priverait la jeunesse d’un spectacle fédérateur.
Réactions des supporters et des acteurs
Les collectifs de supporters, réunis la semaine dernière à Mfilou, réclament un calendrier précis de réouverture. « Nous comprenons les exigences de sécurité, mais il faut un horizon clair », martèle le porte-parole du Mouvement Onze National.
Les entraîneurs, eux, s’inquiètent de la préparation physique de leurs joueurs. Privés de pelouses réglementaires, certains clubs s’entraînent sur des terrains scolaires. L’international Prince Mouandza confie avoir « déjà vu des carrières freinées par le manque de compétition régulière ».
Perspectives pour les compétitions internationales
Malgré les difficultés, les sélections U17 et U20 se sont récemment illustrées en matches amicaux disputés à Kinshasa. Cette belle dynamique encourage les autorités à trouver un compromis. « Il en va de la visibilité du pays », explique un cadre du Comité national olympique.
La Confédération africaine de football, très attentive, a rappelé que les stades homologués doivent disposer d’équipements médicaux, de salles de presse adaptées et de systèmes lumineux répondant aux retransmissions internationales. Le Congo veut afficher sa conformité avant la prochaine fenêtre FIFA.
Vers un dialogue institutionnel renforcé
Un groupe de travail mixte, associant ingénieurs, financiers et représentants des supporters, doit être installé dans les jours à venir. Objectif : définir la feuille de route des rénovations et préciser le schéma de gouvernance des enceintes une fois rouvertes.
Plusieurs pistes de financement circulent, allant du partenariat public-privé à l’émission d’obligations sportives. Les clubs professionnels proposent d’affecter une partie de leurs recettes futures à un fonds commun de maintenance, signe d’une volonté collective d’assumer les responsabilités.
La recherche d’un consensus national
Au-delà des considérations techniques, la question renvoie à la symbolique du vivre-ensemble. Dans un contexte régional où le sport sert de vitrine diplomatique, le Congo souhaite continuer à projeter une image de stabilité et d’ouverture.
Les observateurs soulignent la complémentarité des positions : l’État, garant de la sécurité; la Fécofoot, promotrice du jeu; les supporters, gardiens de la ferveur. De la convergence de ces trois voix dépend la renaissance des tribunes congolaises.
La perspective d’un premier match test, peut-être dès le début de 2026, alimente l’optimisme. Si les travaux avancent dans les délais, Brazzaville pourrait redevenir le théâtre des chants des Diables Rouges, ranimant, le temps d’une soirée, l’âme sportive de la nation.