Un enjeu de santé publique sous-estimé
Dans les couloirs feutrés du ministère de la Santé, la lentille se tourne de plus en plus vers un mal silencieux : le suicide. À Brazzaville, le 9 septembre, le Dr Paul Gandou, directeur du Programme national de santé mentale, a détaillé une feuille de route ambitieuse.
Son message résonne autour d’un thème choisi par l’Association internationale pour la prévention du suicide : « changer le discours ». Derrière les mots, l’objectif est simple : rappeler que chaque geste d’écoute réduit la probabilité d’un passage à l’acte désormais considéré comme évitable.
Des chiffres alarmants en Afrique centrale
Plus de neuf-cent vingt mille personnes se donnent la mort chaque année dans le monde, rappelle le psychiatre. Trois quarts vivent dans des pays à revenus intermédiaires, où les crises économiques, les conflits et les catastrophes naturelles s’additionnent, selon l’Organisation mondiale de la santé. L’Afrique centrale n’est pas épargnée.
Au Congo-Brazzaville, environ sept habitants sur cent meurent par suicide, selon le PNSM. Les hommes sont les plus touchés, tandis que les femmes tentent plus souvent un passage à l’acte non létal. La tranche d’âge la plus vulnérable s’étend de dix-neuf à vingt-cinq ans.
Les facteurs de risque détaillés par le PNSM
Le Dr Gandou découpe les risques en trois tiroirs : individuel, familial et environnemental. Sur le plan personnel, l’isolement, la dépression ou la consommation abusive de psychotropes ouvrent la porte à l’idée suicidaire. Un antécédent de tentative accroît encore la fragilité psychique.
Dans la sphère familiale, les violences, une communication délétère ou un deuil non résolu peuvent peser. Le cadre environnemental, lui, agrège le chômage, la pauvreté, les discriminations ou les crises climatiques. Ces strates se superposent, rendant certains individus particulièrement exposés.
L’importance des leviers de protection
Face au risque, la science recommande le tissage d’un filet social serré. Selon le responsable du PNSM, l’intégration communautaire, la scolarisation, l’activité professionnelle, la vie conjugale ou l’appartenance religieuse agissent comme autant de boucliers contre la désespérance.
Mais ces remparts n’ont d’effet que s’ils s’accompagnent d’un accès continu aux soins. L’équipe soignante doit instaurer un dialogue franc, évaluer la dangerosité, isoler médicaments ou armes et assurer un suivi rapproché. La parole sécurise, la présence d’un professionnel rassure.
Changer le discours pour sauver des vies
Le mot suicide reste tabou dans de nombreuses familles. « Il est urgent de parler pour prévenir », martèle le psychiatre. La campagne nationale veut transformer les perceptions : considérer la souffrance psychique comme un symptôme médical plutôt qu’une faiblesse morale.
Cette évolution du langage doit s’appuyer sur des relais médiatiques, religieux et éducatifs. Les radios de proximité, les pasteurs ou les imams et les professeurs d’université sont invités à diffuser un message commun : demander de l’aide est un acte de courage.
Une stratégie nationale en construction
Le calendrier 2024 du PNSM prévoit des sessions de sensibilisation dans les lycées et instituts supérieurs, en partenariat avec le ministère de l’Enseignement général. Des modules interactifs aborderont l’estime de soi, la gestion du stress et le repérage précoce d’un camarade en détresse.
Parallèlement, un protocole de formation continue pour les médecins généralistes doit renforcer la détection des signaux d’alerte en première ligne. « Nous voulons que chaque cabinet de quartier dispose de repères simples », insiste le Dr Gandou, convaincu que la prévention commence dès la consultation.
Témoignages de terrain et engagements
À la clinique municipale Makélékélé, la psychologue Clarisse Nganga observe chaque semaine des jeunes adultes angoissés par le chômage. « La création d’une cellule d’écoute a déjà fait baisser les passages à l’acte », affirme-t-elle, louant l’appui logistique obtenu auprès du PNSM.
Dans la banlieue de Talangaï, Jean-Baptiste, père d’un étudiant retrouvé à temps par les secours, se souvient : « J’ai longtemps minimisé son mal-être. Les ateliers parentaux m’ont appris à écouter sans juger ». Son récit illustre la place centrale des familles dans le processus d’évitement.
Financer et évaluer les actions futures
Le financement reste le nerf de la guerre. Les autorités sanitaires travaillent à intégrer la prévention du suicide dans la couverture santé universelle, afin que le coût ne soit plus un frein. Une table ronde est annoncée pour explorer des partenariats publics-privés durables et des organisations internationales concernées.
Les experts insistent également sur l’importance de données actualisées. Un registre national des tentatives, adossé au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville, est en phase pilote. Il doit permettre d’orienter les politiques en distinguant mieux les singularités régionales et les besoins spécifiques des jeunes.
Si le suicide demeure un geste individuel, la réponse, elle, est collective, conclut le Dr Gandou. Chaque initiative de solidarité, chaque oreille attentive, chaque politique publique cohérente rapproche un peu plus la société congolaise de l’objectif affirmé : qu’aucune vie ne se perde faute d’écoute.