Chronologie d’une décision très attendue
Signé le 9 juillet 2024 par le président Denis Sassou Nguesso, le décret N°2024-324 consacre l’exclusivité nationale dans la conduite des taxi-motos et motocyclettes de transport public. L’initiative judiciaire intervient après plusieurs mois de concertation entre le ministère des Transports, la Fédération syndicale des professionnels des transports du Congo (FESYPTC) et les services de sécurité. Dans un contexte marqué par la recrudescence de braquages attribués à des chauffeurs non nationaux, l’exécutif entend assainir un secteur qui, selon la Direction générale des transports terrestres, assure près de 60 % des déplacements intra-urbains à Brazzaville et Pointe-Noire.
Le poids socio-économique d’une mobilité de proximité
Introduite au tournant des années 2000, la moto-taxi s’est rapidement imposée comme un amortisseur social. Dans des agglomérations où l’expansion spatiale dépasse la capacité des bus publics, elle garantit la desserte des quartiers périphériques et génère, d’après l’Observatoire national de l’emploi, près de 45 000 emplois directs. Pour les diplômés sans poste dans la fonction publique, cette micro-entreprise à faible capital-démarrage constitue souvent un premier filet de sécurité. Les syndicats estiment que la masse salariale dégagée par l’activité contribue à plus de 3 % du PIB informel.
Sécurité routière et sentiment d’insécurité : le prisme syndical
La FESYPTC, par la voix de son secrétaire général chargé des transports, Gilles Ondélé, avance une lecture sécuritaire des réformes. Sur 5 023 conducteurs recensés lors des contrôles syndico-policiers de mai 2024, 1 235 seraient de nationalité étrangère. « Les statistiques d’agressions impliquent une surreprésentation de ce segment », soutient-il, appelant les forces de l’ordre à « verrouiller les parkings ». En filigrane, le syndicat souhaite également revaloriser l’image professionnelle d’un métier souvent perçu comme informel et anarchique.
Une opportunité revendiquée par la jeunesse congolaise
Nombre de jeunes conducteurs voient dans la mesure un moyen de stabiliser leurs revenus face à une concurrence qu’ils jugent déloyale. « Cette activité nous rend autonomes », affirme Chrismain Embengou, diplômé en sciences économiques reconverti sur deux roues. Sur le marché de l’emploi où le secteur formel absorbe à peine 15 % des entrants annuels, la réallocation de la demande de transport vers les nationaux est perçue comme un correctif temporaire au sous-emploi structurel.
Les réticences des chauffeurs étrangers et l’argument familial
À l’inverse, plusieurs ressortissants de la sous-région dénoncent une mesure jugée brutale. Nagifi Saolona, originaire de RDC et marié à une Congolaise, rappelle que « la scolarité de trois enfants dépend de ce guidon ». Pour ces travailleurs transfrontaliers, la moto-taxi n’est pas seulement une source de revenu mais un vecteur d’intégration socio-culturelle. Eux plaident pour une régulation par la licence et l’assurance plutôt que par l’exclusion, soulignant la tradition de libre circulation consacrée par la Communauté économique des États d’Afrique centrale.
Régulation, fiscalité et modernisation du parc
Le ministère des Transports esquisse déjà des passerelles juridiques permettant aux détenteurs de cartes de séjour permanentes d’obtenir des dérogations, à condition de se conformer à un cahier des charges plus strict : immatriculation normalisée, assurance responsabilité civile et formation en sécurité routière. L’objectif affiché est double : formaliser un segment économique à fort potentiel fiscal et réduire l’empreinte environnementale par l’introduction progressive de motos électriques, conformément au Plan national Climat 2025-2035.
Regards croisés d’universitaires et de diplomates
Pour le politiste Martial Okoumé, « le décret s’inscrit dans le paradigme des politiques publiques de préférence nationale sans s’aliéner les partenaires régionaux ». Le chercheur note que de telles mesures prospèrent lorsque l’État articule simultanément accompagnement financier et formation professionnelle. De leur côté, plusieurs chancelleries africaines, tout en reconnaissant la souveraineté congolaise, encouragent la création d’un guichet unique de mobilité transfrontalière afin d’éviter une spirale de réciprocités restrictives. L’enjeu, souligne un diplomate de la CEEAC, est de « préserver l’esprit d’intégration continentale tout en répondant aux exigences sécuritaires locales ».