Justice congolaise et diplomatie foncière
Le 15 janvier 2025, la Cour suprême du Congo-Brazzaville a validé l’arrêt rendu un mois plus tôt par la Cour d’appel confirmant la propriété du terrain du quartier La Poste à l’État bulgare. La décision clôt un contentieux vieux de plusieurs décennies.
Au-delà du simple acte notarié de 1971, l’affaire est devenue un test grandeur nature pour la capacité des juridictions nationales à arbitrer, sans pression, entre intérêts privés et obligations diplomatiques, tout en préservant l’image de fiabilité du système foncier congolais.
Le litige opposait la République de Bulgarie, représentée par son ambassade à Brazzaville, à Mme Gisèle Ngoma, qui soutenait avoir acquis légalement la même parcelle. L’enjeu: 982 mètres carrés stratégiquement situés à deux pas de l’historique avenue de la Paix.
Chronologie du contentieux La Poste
Tout commence en septembre 1971 lorsque le notaire Roger Gnali Gomes authentifie la vente du terrain au profit de la Bulgarie. Pendant plus de quarante ans, aucune contestation publique n’apparaît, jusqu’à ce qu’en 2015 Mme Ngoma introduise une demande de régularisation cadastrale.
La requête provoque une cascade de procédures: Tribunal de grande instance, Cour d’appel, puis Cour suprême. Chaque étape se termine par la confirmation du titre foncier n°1571 au nom de la Bulgarie, malgré les arguments multiples avancés par la partie civile congolaise.
En décembre 2024, la Cour d’appel ordonne l’expulsion de Mme Ngoma et fixe une astreinte journalière de 500 000 FCFA en cas de résistance. Une indemnité de cinq millions de francs CFA est également accordée à l’État bulgare pour préjudice moral et matériel.
Positions juridiques opposées
Les avocats de Mme Ngoma ont plaidé l’existence d’un second acte de vente, daté de 2012, qui aurait transféré la propriété à leur cliente. Ils ont invoqué la bonne foi, l’antériorité de possession et le droit au logement, espérant convaincre le juge d’annuler le titre diplomatique.
Le conseil de la Bulgarie a, de son côté, mis en avant la primauté du principe de l’inviolabilité des locaux diplomatiques et l’antériorité absolue du titre de 1971. Occasionnellement, des documents cadastraux originaux ont été présentés, consolidant l’argument d’une chaîne de propriété ininterrompue.
La Cour suprême a donc vérifié la régularité de la procédure, la compétence des juges précédents et le respect des droits fondamentaux. Constatant l’absence de conflit de lois, elle a confirmé que le droit de propriété diplomatique bénéficie d’une protection renforcée par les conventions internationales ratifiées.
Enjeux de sécurité cadastrale
Pour nombre d’urbanistes, ce dénouement rappelle l’importance de tenir à jour les archives cadastrales et d’automatiser la traçabilité des mutations foncières. Une base de données fiable limite les saisines contentieuses et renforce la confiance des investisseurs dans la capitale congolaise en pleine mutation.
Le ministère des Affaires foncières a d’ailleurs annoncé l’élaboration d’une feuille de route numérique visant à moderniser l’enregistrement des titres avant 2027. Selon un haut fonctionnaire, cette stratégie « réduira les doublons, accélérera le traitement et diminuera le coût social des litiges ».
Analyse des experts congolais
Interrogé, le professeur Stéphane Mavouadi, spécialiste de droit public, estime que l’arrêt « consacre la solidité du principe de continuité de l’État, même dans les relations avec des particuliers ». Pour lui, la décision illustre aussi la pleine autonomie du pouvoir judiciaire national.
D’autres praticiens relèvent toutefois que la multiplication des ventes informelles constitue encore un défi majeur. Ils pointent le rôle des communes, souvent sollicitées pour délivrer des attestations sans recoupement, créant des situations de superposition juridique dont profitent parfois des réseaux spéculatifs.
Effets sur la coopération bilatérale
Sur le plan diplomatique, l’ambassade de Bulgarie salue « l’esprit de justice et de coopération » ayant prévalu. Aucune tension publique n’a été signalée entre les deux États, signe de la maturité d’une relation nourrie par la coopération universitaire et la formation technique.
La décision pourrait, selon un analyste régional, encourager d’autres pays à consolider leur présence à Brazzaville. La garantie d’un cadre juridique prévisible demeure un facteur clé pour attirer des bureaux régionaux, des centres culturels et des investissements dans le secteur des services.
Vers une gouvernance foncière modernisée
À la mairie de Brazzaville, un projet pilote de géoréférencement parcellaire est à l’étude. En mobilisant la télédétection et la cartographie participative, les autorités espèrent réduire de 60 % les litiges urbains et augmenter les recettes fiscales liées à l’occupation du sol.
Si ce programme aboutit, la capitale pourrait devenir un laboratoire régional de bonne gouvernance foncière. Les conclusions de l’affaire dite « La Poste » rappellent que chaque mètre carré documenté avec rigueur ouvre la voie à une croissance urbaine ordonnée et à des relations diplomatiques apaisées.
En définitive, l’issue favorable à la Bulgarie rappelle aussi l’engagement des autorités congolaises à sécuriser le climat des affaires conformément au Plan national de développement 2022-2026. Un objectif prioritaire pour attirer les capitaux étrangers indispensables à la diversification économique du pays.