Une journée internationale, un miroir brazzavillois
Le 26 juin, les chancelleries et les organisations multilatérales célèbrent la Journée mondiale pour le soutien aux victimes de la torture. À Brazzaville, l’écho de cet événement a trouvé une résonance inédite à travers la déclaration du Consortium des associations pour la promotion de la gouvernance démocratique et de l’État de droit. Le Capged, qui réunit cinq ONG de défense des droits humains, dresse un tableau qu’il qualifie d’alarmant: selon ses observations, les actes de torture et traitements assimilés auraient connu une recrudescence dans certains lieux de détention, en particulier lors des gardes à vue. Une telle interpellation, venant d’acteurs qui travaillent au plus près des justiciables, rappelle combien la question de la dignité des personnes retenues demeure un indicateur sensible de la consolidation de l’État de droit.
La montée des signalements et la posture vigilante des ONG
Dans leur communiqué, les organisations membres du Capged affirment avoir recueilli des témoignages faisant état de pressions physiques et morales visant à extorquer des aveux. « La répétition de décès en cellule traduit, selon nous, une banalisation préoccupante des sévices », indique le texte. Les militants concèdent toutefois que la visibilité croissante de ces cas tient aussi à l’extension des canaux de plainte et à une opinion publique plus prompte à relayer les récits de victimes. Autrement dit, l’augmentation apparente des signalements pourrait refléter à la fois une persistance de pratiques illicites et un accès élargi à la parole. Dans l’économie politique du pays, où la demande de justice se fait de plus en plus articulée, la société civile se positionne comme un relais d’information et un partenaire potentiel des autorités dans la mise à jour des politiques publiques.
Le cadre juridique : entre ratification internationale et effectivité locale
Sur le plan normatif, la République du Congo dispose d’outils substantiels. L’article 11, alinéa 2, de la Constitution prohibe sans équivoque la torture. La ratification en 2003 de la Convention des Nations unies contre la torture place le pays dans un réseau d’obligations internationales dont le contrôle est assuré par des mécanismes onusiens. Le Code pénal, révisé en 2018, sanctionne déjà les atteintes volontaires à l’intégrité physique. Le ministère de la Justice rappelle à intervalles réguliers que « nul agent public n’est couvert par un quelconque privilège d’impunité ». Néanmoins, l’appropriation de ces textes par l’ensemble de la chaîne pénale pose encore défi dans un État où la formation continue, la logistique et la culture administrative avancent à des rythmes différenciés.
Capged et pouvoirs publics : convergences possibles, réformes nécessaires
Pour prévenir des dérives, le Capged propose d’ériger explicitement le crime de torture dans une législation autonome, de doter la justice de protocoles d’enquête spécialisés et de mettre en place un mécanisme national de prévention. Du côté gouvernemental, plusieurs chantiers bénéficient déjà d’un accompagnement technique de partenaires comme le Programme des Nations unies pour le développement. Un conseiller du ministère de l’Intérieur, joint par nos soins, insiste : « Nous partageons la finalité, qui est la protection de la personne. La discussion porte surtout sur l’agenda et la priorisation des moyens. » En d’autres termes, la dialectique société civile–État n’apparaît pas antagoniste mais dialectique, chaque acteur revendiquant la légitimité d’un rôle complémentaire dans la gouvernance.
Former l’humain, moderniser l’institution
Au-delà du droit écrit, l’exigence de prévention renvoie à la formation des forces de l’ordre. Les spécialistes de criminologie observent qu’un agent formé à la police de proximité et au recueil non violent des renseignements recourt moins fréquemment à la coercition. Un projet pilote de modules sur les droits fondamentaux, cofinancé par l’Union africaine, a déjà concerné plusieurs centaines de fonctionnaires congolais. Les retours d’expérience suggèrent une amélioration des pratiques d’audition, même si l’indicateur le plus décisif sera, à terme, la baisse vérifiable des plaintes. Parallèlement, la réhabilitation des commissariats et l’installation d’un système de vidéosurveillance, annoncée dans le budget 2024, visent à réduire les espaces d’opacité où les excès pourraient s’épanouir.
Vers une gouvernance concertée pour renforcer la confiance citoyenne
La lutte contre la torture dépasse la seule dimension sécuritaire : elle engage la crédibilité des institutions et la confiance des citoyens. En répondant aux alertes des ONG sans posture défensive, l’exécutif peut transformer une critique en opportunité d’approfondissement démocratique. La perspective d’un mécanisme national indépendant, examinée actuellement par le Parlement, pourrait incarner cette volonté de transparence. Comme le résume un diplomate africain accrédité à Brazzaville : « Là où l’État dialogue avec sa société civile, la gouvernance gagne en légitimité et en efficacité. » À l’heure où s’esquisse la prochaine revue périodique universelle du Congo, la dynamique collaborative annoncée constitue un signal susceptible de rassurer partenaires internationaux, investisseurs et, avant tout, la population congolaise soucieuse de ses droits fondamentaux.