Un chantier emblématique de la mobilité durable
Lorsqu’en juillet 2016, à Paris, le ministre congolais de l’aménagement du territoire et des grands travaux, Jean-Jacques Bouya, dévoilait la volonté gouvernementale de doter Brazzaville et Pointe-Noire de lignes de tramway, l’annonce s’inscrivait dans une dynamique internationale de transition vers des transports collectifs moins énergivores. Dans un pays où le parc automobile croit de près de 6 % par an, la perspective d’une infrastructure ferrée moderne apparaissait comme l’aboutissement logique d’un urbanisme tourné vers la durabilité et la cohésion sociale. L’objectif affiché était clair : désengorger les axes routiers saturés, réduire l’empreinte carbone des déplacements quotidiens et offrir aux citadins un mode de transport fiable, régulier et inclusif.
Brazzaville et Pointe-Noire, laboratoires urbains
Avec respectivement 2,146 millions et 1,421 million d’habitants selon le recensement de 2023, les deux principales agglomérations du pays concentrent près de la moitié de la population nationale. Leur croissance démographique s’accompagne d’un phénomène de « sprawl » qui complexifie la gestion des flux. Au quotidien, les usagers se heurtent au phénomène de « demi-terrain », pratique informelle par laquelle les conducteurs de minibus fractionnent les trajets pour maximiser leur recette. Les autorités municipales, conscientes de l’enjeu, ont renforcé les contrôles et multiplié les campagnes de sensibilisation, sans toutefois réussir à éradiquer totalement cette économie de la débrouille, enracinée dans la faiblesse de l’offre publique.
Dans ce contexte, l’arrivée d’un tramway représente davantage qu’une solution technique : elle porte une promesse de réorganisation spatiale. Les études de faisabilité, menées en partenariat avec la société française Alstom et des cabinets d’ingénierie locaux, privilégient un tracé central longeant l’avenue des Trois-Martyrs à Brazzaville et un axe nord-sud traversant le quartier Mvou-Mvou à Pointe-Noire. Selon un conseiller ministériel ayant requis l’anonymat, ce choix reflète « la volonté de toucher d’emblée les bassins de mobilité les plus denses, tout en minimisant les expropriations foncières ».
Ingénierie financière et résilience budgétaire
La matérialisation du projet se heurte toutefois à un paramètre déterminant : la contrainte budgétaire. La baisse des recettes pétrolières, amorcée en 2014 et prolongée par la volatilité des marchés, a obligé le Trésor congolais à hiérarchiser ses priorités. Signe de résilience, le gouvernement a opté pour un montage financier hybride associant prêts concessionnels, partenariats public-privé (PPP) et guichet vert de la Banque africaine de développement. Une première tranche de 450 millions de dollars, destinée aux ouvrages d’art et à l’acquisition du matériel roulant, est en cours de structuration. « La discussion avec les bailleurs avance, malgré un contexte mondial plus exigeant en matière de gouvernance », souligne un économiste de la CEEAC.
Parallèlement, la partie congolaise affine un mécanisme de capture de la valeur foncière. L’idée, inspirée des expériences marocaines et turques, consiste à prélever une taxe de plus-value sur les terrains riverains, dont la valorisation bénéficiera directement de la desserte ferrée. Ce dispositif pourrait couvrir jusqu’à 15 % du coût global, selon une note technique du ministère du Budget. Il témoigne d’une volonté de réduire la dépendance vis-à-vis des ressources pétrolières et d’ancrer le financement des infrastructures dans la dynamique urbaine elle-même.
Le calendrier revisité, entre pragmatisme et anticipation
Initialement annoncée pour 2020, la mise en service de la première rame a été repoussée. Le nouveau chronogramme, discuté lors des assises nationales sur l’intermodalité de novembre 2024, table désormais sur un démarrage des travaux civils au deuxième semestre 2025 et une exploitation partielle en 2028. Ce glissement reflète un souci de réalisme, affirme un haut fonctionnaire du ministère des Transports : « La réussite d’une telle entreprise dépend moins de la vitesse d’exécution que de la robustesse du modèle de maintenance et de l’acceptabilité sociale ».
Entre-temps, les autorités s’emploient à préparer le terrain réglementaire. L’Agence nationale de régulation des transports ferroviaires a publié un corpus de normes sur la sécurité des passagers, la signalisation et l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Cette anticipation, saluée par l’Union africaine des chemins de fer, devrait limiter les surcoûts liés aux réajustements ultérieurs.
Appropriation citoyenne et dynamiques socio-économiques
Au-delà des considérations techniques, la réussite du tramway repose sur l’adhésion des populations. Les associations de quartiers, réunies au sein du Réseau congolais des usagers de la route, militent pour des tarifs socialement équitables et pour l’intégration d’une billettique sans contact, susceptible de fluidifier l’embarquement. Une enquête menée par l’Université Marien-Ngouabi révèle que 72 % des résidents de Brazzaville se déclarent prêts à délaisser la voiture particulière si l’offre est fiable et abordable.
Les projections macroéconomiques convergent vers un effet multiplicateur notable : chaque million de dollars investi dans le tramway pourrait générer 1,8 million de dollars de PIB additionnel, en raison du développement de pôles commerciaux et de la création d’emplois directs et induits. Certains opérateurs immobiliers anticipent déjà une requalification de friches industrielles en « zones de centralité » à proximité des futures stations.
Une modernité qui s’esquisse pas à pas
Neuf ans après l’annonce initiale, le dossier des tramways congolais se trouve à la croisée des chemins. Les retards, inévitables dans des projets de cette envergure, n’ont pas entamé la détermination des autorités à doter le pays d’un réseau structurant, instrument de cohésion sociale et de compétitivité économique. La fragilité des finances publiques impose une ingénierie sophistiquée, mais le contexte géopolitique favorable à la transition énergétique ouvre des fenêtres d’opportunité.
Tandis que Brazzaville et Pointe-Noire patientent, c’est la crédibilité d’une stratégie nationale de mobilité durable qui se joue. Chaque étape, de la clôture des négociations financières à la pose du premier rail, façonnera la perception des partenaires et des citoyens. Si le futur prend son temps, il n’en reste pas moins en marche, porté par une vision qui conjugue pragmatisme budgétaire, innovation technique et volonté politique.