Une élection décisive pour l’UNESCO
Le 6 octobre, au siège de l’UNESCO à Paris, les 58 membres du Conseil exécutif se sont retrouvés dans une atmosphère feutrée mais dense pour choisir le prochain directeur général de l’organisation.
Au premier tour, l’Égyptien Khaled El-Enany a recueilli 55 voix, ne laissant que deux suffrages à son rival congolais Firmin Edouard Matoko, tandis qu’une abstention complétait le scrutin, ce résultat sans appel.
Cette victoire nette offre une transition sans heurts au lendemain du mandat de la Française Audrey Azoulay, et consacre la continuité d’un leadership africain dans une institution fréquemment appelée à panser les fractures culturelles mondiales.
Un Africain succède à une Française
En passant le relais à El-Enany, l’UNESCO reste fidèle à son équilibre géographique, puisqu’après le Maghreb avec Irina Bokova puis l’Europe occidentale d’Azoulay, c’est désormais l’Afrique du Nord qui prend la barre.
Le résultat confirme aussi l’implication croissante du continent dans la diplomatie multilatérale, Brazzaville ayant soutenu son propre représentant tout en saluant la capacité de l’Égypte à rallier une majorité presque unanime internationale.
Les délégués ont souligné que la proximité temporelle avec la COP28 renforçait la portée de ce choix, l’UNESCO jouant un rôle grandissant dans la diplomatie climatique grâce à ses réseaux de réserves de biosphère et de géoparcs mondiaux.
Profil de Khaled El-Enany
Âgé de cinquante-deux ans, Khaled El-Enany a dirigé successivement le Musée égyptien du Caire, puis le ministère du Tourisme et des Antiquités, où il a piloté l’ouverture du Grand Egyptian Museum récemment.
Habitué des négociations avec l’Union européenne ou l’UNWTO, il cultive une image d’universitaire pragmatique, capable de solder des dossiers financiers tout en défendant un récit inclusif du patrimoine mondial devant tous publics.
Dans une brève allocution après l’élection, il a promis de promouvoir la science ouverte, de renforcer les programmes d’alphabétisation numérique et de protéger les sites menacés par le changement climatique, trois priorités très commentées.
Firmin Edouard Matoko, une candidature remarquée
Natif de Pointe-Noire, Firmin Edouard Matoko, actuel sous-directeur général pour l’Éducation, s’est appuyé sur un parcours interne de vingt-cinq ans pour porter la voix du Congo-Brazzaville au sein du processus électoral international.
Sa plateforme insistait sur le bilinguisme, la coopération Sud-Sud et un fonds africain pour l’innovation pédagogique, propositions saluées par plusieurs délégations mais qui n’ont pas suffi à inverser le rapport de force.
Interrogé après l’annonce, il a souligné que son score, loin d’être un revers, illustre la vitalité diplomatique congolaise et la nécessité de maintenir l’éducation au cœur des débats budgétaires internationaux des prochaines années.
Enjeux pour l’Afrique francophone
Avec deux Africains finalistes, le scrutin relance la question de l’influence francophone dans une institution où l’anglais et l’espagnol dominent souvent les négociations techniques et l’allocation des ressources financières clés.
Brazzaville mise, pour sa part, sur une coordination accrue avec Le Caire afin de défendre les programmes régionaux, notamment l’éducation des filles, la préservation des manuscrits sahéliens et la cartographie des sites paléontologiques.
Selon un diplomate africain présent à Paris, la convergence des priorités pourrait se traduire par un front commun lorsqu’il s’agira de négocier le budget 2026-2027 avec les principaux bailleurs extrabudgétaires.
Les priorités annoncées du futur DG
Devant le Conseil, El-Enany a cité en tête de liste la réduction de la fracture numérique, s’engageant à connecter dix mille écoles rurales supplémentaires grâce à des partenariats public-privé calibrés efficacement.
Il a également évoqué la création d’une task-force destinée à surveiller l’impact des conflits armés sur les biens culturels, en collaboration étroite avec l’Union africaine et l’Organisation mondiale des douanes dès 2024-2025.
Enfin, un accent particulier sera porté à la diplomatie scientifique, sujet cher au Congo-Brazzaville, qui abrite déjà une antenne du programme Hydrogéologie africaine piloté par l’UNESCO depuis Pointe-Noire et soutenu localement.
Réactions à Brazzaville et à Paris
Au ministère congolais des Affaires étrangères, on se félicite de l’élan africain, jugeant que la défaite arithmétique de Matoko ne doit pas masquer le retentissement symbolique de sa présence au second tour.
Dans les couloirs parisiens, plusieurs diplomates rappellent que l’expérience de l’ancien ministre égyptien sera cruciale pour apaiser les tensions budgétaires avec Washington, retardataires sur leurs contributions statutaires depuis plusieurs années.
Les milieux universitaires congolais appellent déjà à renforcer les synergies entre l’Université Marien-Ngouabi et les chaires UNESCO existantes, afin de peser davantage dans les prochains appels à projets lancés par Paris prochainement.
Prochaine étape: investiture à Samarcande
Conformément aux statuts, la Conférence générale se réunira le 9 novembre à Samarcande pour entériner l’élection, étape considérée comme une formalité au vu du score acquis à Paris par les délégués.
El-Enany devrait ensuite prendre ses fonctions le 14 novembre, date qui coïncidera avec la présentation du projet de budget révisé, premier test diplomatique et financier de son mandat de quatre ans.
À Brazzaville comme au Caire, l’espoir est désormais de transformer la rivalité électorale en complémentarité stratégique, dans l’intérêt de l’Afrique et de la défense universelle du patrimoine commun de l’UNESCO.