Une ambition éducative en phase avec les enjeux démographiques
Au cœur d’une croissance démographique soutenue, estimée à plus de 3 % par an selon les projections de la Banque mondiale, le gouvernement congolais place l’inclusion universitaire au centre de sa stratégie de développement humain. La ministre de l’Enseignement supérieur, Delphine Edith Emmanuelle, rappelle que « l’université doit devenir un espace où chaque potentiel trouve sa voie, indépendamment des origines sociales ». En filigrane se dessine la conviction que la massification étudiante n’a de sens que si elle s’accompagne d’un curriculum en prise avec les réalités économiques, technologiques et culturelles du pays.
Des assises pour écouter la jeunesse congolaise
Organisées début juillet, les Assises sur l’employabilité et l’entrepreneuriat étudiant ont réuni, trois jours durant, responsables universitaires, représentants du secteur privé et organisations internationales. Dans l’amphithéâtre principal de l’Université Marien-Ngouabi, les étudiants ont, pour la première fois à une telle échelle, porté la voix d’une génération avide de perspectives. L’objectif affiché était double : dresser un état des lieux précis des filières en tension et imaginer des passerelles vers des métiers émergents, notamment ceux liés au numérique, à l’agro-transformation et aux services à valeur ajoutée.
Une réponse pragmatique à l’inadéquation formation-emploi
Le constat est connu, mais il ne cessait de hanter les débats : près de 60 % des diplômés de licence peinent à trouver un premier emploi dans les deux ans suivant leur sortie de l’université, d’après une enquête conjointe du ministère du Plan et de l’Organisation internationale du Travail. Pour la sociologue Francine Boukaka, « l’inadéquation formation-emploi n’est pas une fatalité, mais la conséquence d’un pilotage académique encore trop centré sur la théorie ». C’est précisément à ce carrefour que la notion d’université inclusive prend son sens, puisqu’elle suppose un décloisonnement des disciplines, une pédagogie active et un dialogue constant avec les entreprises locales.
Entrepreneuriat et financements : l’État comme catalyseur
Promouvoir l’auto-emploi est devenu un leitmotiv gouvernemental. Le Fonds d’impulsion, de garantie et d’accompagnement (Figa) et le Fonds national d’appui à l’employabilité et l’apprentissage (Fonéa) seront, selon la ministre, « des accélérateurs de projets ». Concrètement, un guichet unique doit être installé sur les campus pour éclairer les étudiants sur les procédures d’accès à ces mécanismes, réduisant les délais d’instruction et les asymétries d’information. L’économiste Pierre-Claver Mabiala y voit « un signal fort : l’État se positionne non plus comme simple bailleur de bourses, mais comme investisseur d’amorçage dans la créativité juvénile ».
Vers une gouvernance universitaire participative
Si l’inclusion est un concept, elle se transforme en pratique par une gouvernance plus horizontale. Les recteurs entendent associer systématiquement les organisations estudiantines aux conseils d’orientation des programmes. Un projet de charte statutaire, en cours de finalisation, prévoit la présence de deux représentants étudiants dotés de voix délibératives lors de l’élaboration des maquettes pédagogiques. Le professeur Évariste Ondongo, spécialiste de politiques publiques, rappelle que « la participation est l’un des moteurs de la qualité, car elle réduit la dissonance entre attentes sociétales et offre académique ».
Cap sur 2025 : prolonger l’Année de la jeunesse
La feuille de route s’inscrit dans une temporalité volontairement courte : 2025 a été proclamée prolongement de l’Année de la jeunesse par le président Denis Sassou Nguesso. Cette date charnière doit marquer la première évaluation systémique du nouveau modèle universitaire. Les indicateurs porteront sur le taux d’insertion professionnelle à douze mois, la proportion de cours mutualisés avec le monde économique et le volume de projets entrepreneuriaux financés. Pour l’anthropologue Alioune M’Bemba, « la réussite de cette réforme tiendra à la cohérence entre déclarations symboliques et moyens budgétaires ». À Brazzaville, le message semble d’ores et déjà entendu : la loi de finances rectificative 2024 prévoit une hausse de 15 % des crédits alloués à l’innovation pédagogique.
Une dynamique qui interroge la diplomatie éducative régionale
L’initiative congolaise n’opère pas en vase clos. Elle s’insère dans une convergence sous-régionale où le Gabon, le Cameroun ou encore la République démocratique du Congo repensent également leur enseignement supérieur pour absorber un afflux de jeunes diplômés jamais atteint. Les partenaires internationaux, de l’Agence universitaire de la Francophonie à la Banque africaine de développement, observent avec intérêt les potentialités d’un hub académique centré sur Brazzaville. Selon un conseiller de l’UA, « la diplomatie du savoir pourrait devenir l’un des ressorts les plus fins de la stabilité régionale », en favorisant la circulation des compétences et des bonnes pratiques.