Une visite ministérielle à forte densité symbolique
Il n’est pas anodin qu’en ce début de semestre diplomatique, Brazzaville ait choisi la métropole maritime de Dar Es Salaam pour déployer une diplomatie de proximité. Reçu au Palais présidentiel d’Ikulu, le ministre congolais des Affaires étrangères Jean-Claude Gakosso a porté un message personnel du président Denis Sassou Nguesso à son homologue tanzanienne, Samia Suluhu Hassan. Dans l’entourage de la cheffe d’État, on souligne la « dimension de confiance » qui irrigue les échanges entre les deux capitales, héritières d’un pan-africanisme pragmatique façonnant aujourd’hui des convergences géo-économiques.
Firmin Edouard Matoko, profil et enjeux d’une candidature africaine
Au cœur de l’entretien s’est imposée la candidature de Firmin Edouard Matoko à la direction générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Ancien élève de l’École normale supérieure de Libreville, agrégé de lettres modernes puis haut fonctionnaire onusien, l’actuel sous-directeur de l’Unesco en charge de la priorité Afrique jouit d’une solide réputation de bâtisseur de consensus. Pour Brazzaville, porter un dirigeant originaire de la rive droite du fleuve Congo à la tête d’une organisation majeure répond à une double rationalité. Elle conforte d’abord la doctrine locale d’une « voie africaine dans la gouvernance mondiale », articulée autour de la promotion du multilatéralisme inclusif. Elle illustre ensuite la capacité du Congo à fédérer un lobbying continental discret mais efficace, à l’image de la coalition qui permit en 2021 l’élection de la Nigérienne Amina J. Mohammed au poste de vice-secrétaire générale des Nations unies.
Dans les couloirs feutrés de l’Unesco, l’élection de novembre 2025, dont le scrutin se tiendra à Samarcande, est déjà scrutée. La France, pays hôte de l’institution, n’a pas encore dévoilé sa stratégie de succession à Audrey Azoulay. De nombreux observateurs estiment toutefois que la clé du vote résidera dans la qualité des alliances Sud-Sud. C’est précisément cette carte que joue Brazzaville, convaincue que la Tanzanie peut agir comme courroie de transmission au sein de la Communauté de développement d’Afrique australe, dont la voix collective pèse traditionnellement dans les assemblées onusiennes.
Dar Es Salaam, nouveau trait d’union économique avec Brazzaville
La dimension culturelle de la visite n’a pas éclipsé les considérations plus terre-à-terre liées aux chaînes de valeur régionales. D’après le ministère tanzanien de l’Industrie et du Commerce, les flux échangés entre les deux pays demeurent à un niveau modeste, évalué à moins de vingt millions de dollars par an. Pourtant, les potentialités sont tangibles, qu’il s’agisse de la desserte aérienne, de la logistique portuaire ou de la filière touristique. La présidente Hassan a suggéré l’extension des rotations d’Air Tanzania à destination de Brazzaville, proposition accueillie « avec intérêt » par la partie congolaise selon une source diplomatique.
Dans une conjoncture marquée par la réorientation progressive des économies africaines vers un commerce intrarégional, l’idée d’un corridor Tanzanie-Congo fait son chemin. Le port de Dar Es Salaam pourrait devenir l’un des accès privilégiés aux marchés d’Afrique centrale, tandis que Pointe-Noire offrirait aux opérateurs tanzaniens une fenêtre sur l’Atlantique. Un accord de coopération portuaire est à l’étude, signale un haut fonctionnaire congolais, qui y voit le prolongement logique de la Zone de libre-échange continentale africaine entrée en vigueur en 2021.
OMS-Afrique : un soutien mutuel inscrit dans l’agenda sanitaire continental
Le tête-à-tête présidentiel aura également permis d’évoquer la récente nomination du Professeur Mohamed Yakub Janabi à la direction du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique, dont le siège est établi à Brazzaville depuis 1951. En saluant l’accession d’un citoyen tanzanien à cette fonction stratégique, le gouvernement congolais renforce la tradition d’hospitalité diplomatique qui fait de la capitale congolaise l’une des places fortes de la gouvernance sanitaire sur le continent.
Aux dires de Jean-Claude Gakosso, la coopération sanitaire entre les deux pays s’apprête à franchir un palier, notamment à travers la mise en réseau de leurs instituts de recherche biomédicale. Une convergence qui répond aux attentes formulées par l’Union africaine dans son Plan d’action pour la santé publique 2023-2030, lequel encourage les partenariats transfrontaliers afin de mutualiser les capacités de production vaccinale.
Vers une diplomatie culturelle rénovée au Sud du Sahara
Au-delà des dossiers sectoriels, l’entretien de Dar Es Salaam témoigne d’une inflexion plus globale de la diplomatie congolaise, soucieuse d’ancrer sa projection internationale dans une rhétorique de solidarité interafricaine à haute densité culturelle. Les analystes rappellent que Brazzaville fut, en 2022, la première capitale d’Afrique centrale à adopter une stratégie nationale pour les industries créatives. La candidature Matoko s’inscrit dans le prolongement de cette feuille de route : elle vise à faire de l’Unesco un levier de financement et de circulation des artistes africains, tout en renforçant la protection des sites patrimoniaux.
À mesure que s’approche l’échéance électorale, le ministère congolais des Affaires étrangères entend multiplier les séquences bilatérales de ce type, privilégiant des formats de dialogue « confidentiels mais structurants ». Dans le cénacle diplomatique, l’expression pourrait résumer la méthode Sassou Nguesso : un pragmatisme conciliateur, façonné par plusieurs décennies d’expérience internationale, au service d’un agenda où la culture, la santé et l’économie se nourrissent mutuellement.