Un partenariat turco-congolais sous les projecteurs
Avec la signature, en octobre 2022, d’une concession de vingt-cinq ans attribuant au conglomérat turc Albayrak la collecte et la valorisation des déchets de Brazzaville et Pointe-Noire, les autorités congolaises misaient sur un coup d’accélérateur sanitaire et diplomatique (Agence Anadolu, 22 octobre 2022). Le président Denis Sassou-Nguesso avait lui-même vanté « l’expertise logistique d’Albayrak et son sens de la discipline industrielle » lors d’un déplacement à Istanbul. Pourtant, moins de deux ans après, les artères de Moukondo ou de Tié-Tié restent encombrées de sacs d’immondices, alimentant une controverse sur la capacité réelle du partenaire turc à tenir ses engagements.
Des engagements ambitieux confrontés à la topographie urbaine
Le contrat prévoit la mise en circulation de 250 camions, la construction de deux centres de tri mécano-biologique ainsi qu’une décharge sanitaire aux normes ISO. Or, la spécificité géographique de Brazzaville, faite de plateaux sableux aux ruelles étroites, complique le passage de véhicules de plus de vingt tonnes. Les techniciens d’Albayrak réclament dès lors de lourds investissements dans la réhabilitation des voiries, un coût que le Trésor public congolais n’avait pas pleinement anticipé, selon un rapport d’audit interne consulté par notre rédaction. À Pointe-Noire, l’extension non planifiée des quartiers péricentraux comme Siafoumou accentue le même dilemme : sans pistes secondaires viabilisées, la collecte reste partielle et l’image du « miracle ottoman » s’effrite.
Le nerf de la guerre : financement et recouvrement
L’autre point de friction tient à la tarification. Le modèle économique d’Albayrak repose sur une redevance domestique équivalente à 1,5 % de la facture d’électricité des ménages, adossée à un versement mensuel de l’État pour les services publics et les zones défavorisées. Or, le taux de recouvrement effectif plafonne à 43 %, d’après les chiffres du ministère congolais des Finances relayés par Les Dépêches de Brazzaville (15 mars 2024). Les bailleurs, Banque mondiale en tête, redoutent qu’une spirale d’arriérés n’obère la viabilité du projet, à l’instar de la mésaventure vécue par Albayrak à Mogadiscio en 2020.
Entre attentes citoyennes et crispations politiques
Sur le terrain, l’opinion oscille entre impatience et soupçon. Les associations de riverains de Talangaï dénoncent des accumulations d’ordures « plus dangereuses que la pandémie », tandis que les PME locales du secteur, écartées de la concession, évoquent un « monopole étranger à contre-emploi » (Jeune Afrique, 10 février 2023). Pour le député Gérard Mpassi, membre de la commission Environnement, « le risque est de transformer une question de santé publique en contentieux de souveraineté économique ». Dans les coulisses, certains ministres plaident déjà pour une révision de la clause d’exclusivité afin de réintégrer des opérateurs congolais sur des segments de collecte fine ou de sensibilisation citoyenne.
Un test de crédibilité pour Ankara en Afrique centrale
L’enjeu dépasse la seule salubrité urbaine. Pour la diplomatie turque, l’accord d’assainissement constitue une tête de pont vers les marchés d’infrastructures d’Afrique centrale. En visite à Brazzaville en janvier dernier, le vice-ministre turc du Commerce, Mustafa Tuzcu, a déclaré que « la réussite d’Albayrak démontrera la fiabilité des entreprises turques sur le continent ». À défaut de résultats tangibles, la stratégie d’Ankara — fondée sur des prestations visibles et rapides — pourrait perdre de son attrait, au moment même où la Chine consolide sa position sur le port en eau profonde de Pointe-Noire.
Scénarios de sortie et pistes de recalibrage
Pour l’heure, le gouvernement congolais brandit un plan de rattrapage consistant à mobiliser 65 millions de dollars supplémentaires via une obligation domestique afin de financer le parc de camions manquant. Les experts d’ONU-Habitat recommandent parallèlement d’instaurer un cadastre des points de collecte, condition préalable à une facturation plus équitable et à une traçabilité des tonnages. De source diplomatique, l’Agence française de développement envisagerait une ligne de crédit concessionnelle si la gouvernance du projet s’ouvre à la société civile. Quant à Albayrak, le groupe promet la livraison « d’ici à décembre » du premier centre de valorisation, tout en reconnaissant, en creux, la nécessité de « partenariats hybrides » avec des coopératives locales.