Vers une alphabétisation connectée
À Brazzaville, la 59e Journée mondiale de l’alphabétisation a donné un relief particulier aux ambitions du Congo-Brazzaville. Devant la presse, le ministre Jean-Luc Mouthou a rappelé que l’enjeu dépasse l’apprentissage des lettres pour toucher la pleine inclusion sociale.
Le thème international, « Promouvoir l’alphabétisation à l’ère du numérique », s’accorde avec la stratégie nationale qui entend marier lecture, écriture et compétences numériques afin d’ouvrir une « fenêtre sur le monde du travail », selon les mots du ministre.
Cette orientation s’inscrit dans la Vision 2025 du gouvernement, laquelle privilégie des passerelles entre éducation formelle et non formelle pour réduire les inégalités d’accès au savoir et renforcer le capital humain.
Le ministère affirme cibler prioritairement les adultes non scolarisés et les enfants sortis du système, soit plusieurs centaines de milliers de personnes qui pourront profiter de modules en présentiel et en ligne adaptés à leur rythme.
Compétences professionnelles au cœur des cours
La nouveauté majeure réside dans l’alignement des programmes d’alphabétisation sur ceux de l’enseignement technique. « Nous voulons que chaque apprenant reparte avec une compétence immédiatement valorisable », a insisté Jean-Luc Mouthou, évoquant la couture numérique, la maintenance de base ou l’agro-transformation.
Concrètement, les centres d’apprentissage seront équipés de tablettes et de logiciels libres, tandis que des maîtres artisans certifiés rejoindront les équipes pédagogiques pour transmettre des savoir-faire contextualisés aux réalités congolaises.
Cette mutualisation répond aux recommandations de l’UNESCO, qui voit dans la formation qualifiante un accélérateur de résilience économique pour les pays émergents. Le ministère évoque un « continuum » entre la phrase “je sais lire” et la création de micro-entreprises.
En parallèle, une plateforme d’évaluation en ligne permettra de certifier les compétences de base et techniques, facilitant l’entrée des bénéficiaires sur le marché du travail national et sous-régional.
Les premiers pilotes, prévus dans les départements des Plateaux et du Kouilou, serviront de laboratoire avant un déploiement progressif sur l’ensemble du territoire, grâce à des partenariats publics-privés en cours de finalisation.
Défis éthiques et inclusifs du numérique
L’option digitale n’est pas sans risques. Les responsables redoutent une fracture nouvelle entre zones urbaines connectées et zones rurales faiblement couvertes. Le ministère promet l’installation de bornes solaires et la diffusion de contenus hors-ligne pour contourner l’obstacle.
Autre préoccupation évoquée durant la journée: la protection des données personnelles des apprenants. Les autorités travailleront avec l’Agence nationale de cybersécurité pour bâtir des protocoles respectueux de la vie privée tout en permettant un suivi pédagogique fin.
Les pédagogues alertent également sur la tentation d’un usage passif des écrans susceptible de réduire l’esprit critique. D’où l’intégration d’ateliers sur l’éducation aux médias et à l’information afin de « former des citoyens libres et responsables ».
Les stéréotypes de genre circulant en ligne feront l’objet de séances dédiées. L’objectif est d’encourager les femmes, qui représentent la majorité des adultes non alphabétisés, à prendre confiance dans l’outil numérique et à s’engager dans des filières techniques.
Le Congo-Brazzaville dans l’effort mondial
Depuis 1946, l’UNESCO défend le droit de chacun à la littératie. Malgré les progrès, elle comptait encore 739 millions d’adultes analphabètes en 2024. Le Congo-Brazzaville veut contribuer à l’inversion de cette courbe, a rappelé Jean-Luc Mouthou.
Selon les estimations nationales, quatre enfants sur dix n’atteignent pas le niveau minimum de lecture. Les programmes rénovés visent à combler ce fossé avant 2030, en complément des réformes déjà engagées dans l’enseignement général.
Le ministre voit, dans la future universalisation de l’alphabétisation professionnelle, un moteur pour la diversification économique voulue par le Plan national de développement. L’amélioration des indices de capital humain renforcerait l’attractivité du pays auprès des investisseurs.
En s’attachant à concilier inclusion, innovation et débouchés économiques, la stratégie congolais ambitionne de faire de l’alphabétisation numérique une vitrine des politiques sociales, tout en consolidant la place du Congo-Brazzaville dans le concert des nations engagées pour l’éducation pour tous.