Passation solennelle à Brazzaville
Dans la grande salle du ministère de l’Enseignement préscolaire de Brazzaville, la solennité était palpable le 7 novembre 2025, lorsque Remy Alain Blaise Boumba a été officiellement installé directeur général de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle.
Le ministre Jean-Luc Mouthou, après avoir lu le décret présidentiel du 3 novembre, a salué « l’investissement constant d’un pédagogue de terrain » et lui a demandé de hisser les offres éducatives non formelles au rang d’outil majeur de cohésion sociale.
Autour de la tribune, cadres du ministère, syndicats enseignants et partenaires techniques ont assisté à la passation, illustrant l’attention portée par l’État congolais à la lutte contre l’illettrisme qui touche encore un adulte sur cinq, selon les données officielles.
Profil d’un pédagogue engagé
Âgé de soixante-et-un ans, né à Boko-Songho dans la Bouenza, le nouveau responsable maîtrise les rouages de l’administration scolaire ; il fut successivement inspecteur itinérant, directeur de l’orientation et des œuvres scolaires, puis directeur de l’alphabétisation des adultes.
Son parcours lui a valu d’être élevé, en août 2010, au rang de chevalier dans l’ordre du dévouement congolais, distinction qui, selon ses proches, couronne un « sens aigu du devoir public et une attention aux oubliés des périphéries ».
Défis structurels de l’alphabétisation
Pourtant, la tâche reste ardue : l’enquête MICS 2023 souligne que 35 % des femmes de plus de quinze ans n’atteignent pas le niveau élémentaire, un chiffre qui pèse sur l’emploi, la santé maternelle et la participation civique.
Les projections de l’Unesco situent l’atteinte de la pleine alphabétisation nationale au-delà de 2030 si les tendances demeurent, d’où l’urgence, martelée par le ministre, de « mettre le turbo sur les programmes flexibles et adaptés aux réalités locales ».
Le financement constitue le premier frein : le budget consacré à l’éducation non formelle représente moins de 2 % des dépenses du secteur, rappelle un cadre de la direction des études stratégiques, qui plaide pour un relèvement progressif aligné sur l’engagement d’Addis-Abeba.
Les experts soulignent aussi le défi linguistique : le pays compte plus de soixante langues, et la production de manuels bilingues reste coûteuse. La DGAENF envisage un partenariat avec l’Imprimerie nationale pour réduire les frais d’édition.
Certains observateurs rappellent toutefois que la réussite dépendra d’une meilleure articulation entre l’école formelle et les centres communautaires. « Sans passerelle, le décrochage reviendra par la fenêtre », avertit l’universitaire Augustin Mabiala, auteur d’une étude sur les parcours interrompus.
Quatre axes pour une refondation
Conscient des contraintes, Boumba a décliné, lors de son allocution, une feuille de route en quatre axes qu’il qualifie de « pivot pour un nouveau départ ».
Le premier volet vise la refondation du cadre stratégique ; il s’agit de réviser la politique nationale d’alphabétisation, élaborée en 2012, afin d’y insérer la dimension numérique et l’apprentissage tout au long de la vie.
Deuxième axe, la professionnalisation des dispositifs entend standardiser les curricula, sécuriser les passerelles vers la formation professionnelle et reconnaître les compétences acquises par validation, un point salué par le réseau des ONG partenaires.
Boumba insiste aussi sur la gouvernance : la direction adoptera un schéma de performance institutionnelle avec tableaux de bord trimestriels et audits participatifs, afin de renforcer la redevabilité devant les usagers et le Parlement.
Enfin, le volet partenariat mise sur l’ouverture, depuis les municipalités et les entreprises jusqu’aux bailleurs multilatéraux, en passant par la diaspora qui, selon Boumba, « peut parrainer des centres d’apprentissage dans les districts d’origine ».
Attentes des partenaires et chantiers immédiats
Au-delà des annonces, les praticiens attendent des mesures concrètes. « Nous avons besoin de guides pédagogiques réimprimés et d’indemnités motivantes pour les formateurs », résume Adélaïde Kimbondi, responsable d’un centre communautaire à Talangaï.
La Conférence des partenaires techniques, prévue en février 2026, devrait préciser l’enveloppe financière des projets pilotes, notamment l’expérimentation de classes mobiles dans les zones forestières de la Sangha et de la Likouala.
Dans l’immédiat, le nouveau DGAENF a sollicité la mise en œuvre rapide des résolutions du Conseil national de l’enseignement général de septembre 2024, dont la création d’un fonds de solidarité pour le matériel didactique.
Au niveau parlementaire, la commission Éducation s’apprête à examiner une proposition de loi visant à accorder un statut aux animateurs bénévoles, mesure appelée de ses vœux par les syndicats, qui y voient un signe de reconnaissance institutionnelle.
Perspectives nationales et régionales
Les ambitions nationales s’inscrivent aussi dans l’agenda de la CEMAC, dont le plan Éducation 2025 encourage la mutualisation des ressources didactiques entre États. Brazzaville pourrait ainsi héberger, dès 2027, un centre régional de compétences numériques pour adultes.
En clôturant la cérémonie, Jean-Luc Mouthou a résumé l’enjeu : « Alphabétiser, c’est libérer des potentiels parfois invisibles. La République élargira les chemins de la connaissance ». Une formule qui, au-delà du protocole, trace la perspective d’une mobilisation nationale autour de Boumba.
La nomination de Boumba intervient enfin dans un contexte budgétaire plus favorable ; le recentrage des finances publiques initié par le gouvernement a dégagé des marges, et 4 milliards de francs CFA supplémentaires pourraient être alloués à l’alphabétisation dès l’exercice 2026.
