Un laurier international pour la jeune plume congolaise
Le 30 juillet, dans l’enceinte empreinte d’effervescence des Tremplins Mboté hip-hop, Brazzaville a salué le couronnement d’Ange Christ Divin Babakila. L’écrivain-slameur de vingt-huit ans y a reçu le deuxième prix de la dix-neuvième édition du concours mondial « Chansons sans frontières », sélectionné parmi un millier de textes issus de cent six pays. Le jury, réuni à Caen sous la présidence de la chanteuse Zaz, a salué la densité poétique de « Cœur salé », méditation métaphorique sur la résilience humaine.
L’événement, relayé par l’Institut français du Congo et le ministère congolais de la Culture, confirme la portée diplomatique des manifestations culturelles soutenues par l’État. Selon Frédéric Brignot, directeur délégué de l’Institut, « une deuxième place sur un podium international valide l’excellence d’une génération qui écrit le français avec une inventivité singulière ». L’intéressé, sobre et enthousiaste, souligne pour sa part « l’honneur d’élever la voix du +242 au-delà des frontières ».
Les ressorts d’une écriture enracinée
La singularité de « Cœur salé » tient autant à la musicalité de ses images qu’à l’ancrage géographique revendiqué par son auteur. Né à Kiéni, dans le département de la Bouenza, Babakila ne dissimule ni la violence des années de conflits qui ont traversé sa petite enfance ni l’héroïsme ordinaire des mères congolaises. « J’ai appris tôt que pour être aimé, il fallait d’abord survivre », confie-t-il, rappelant comment l’expérience intime se mue en matériau esthétique.
Cette poétique de la mémoire rejoint les analyses des sociologues de la littérature qui observent, depuis la fin des années 1990, l’essor d’un « réalisme de la reconstruction » en Afrique centrale. Babakila s’inscrit dans ce courant tout en y ajoutant la cadence du slam et la dramaturgie scénique héritée du hip-hop local, matrice de la « street poésie » brazzavilloise. L’hybridation des formes, loin d’être un gadget, répond à une demande sociale de récits capables de conjurer le traumatisme et d’affirmer l’appartenance à la communauté de langue française.
Un concours au service d’une francophonie créative
Créé en 2005, « Chansons sans frontières » ambitionne de faire dialoguer des auteurs de tous horizons autour d’un thème annuel. L’édition 2024 – « Et si la Terre chantait ? » – a sollicité des textes explorant l’écologie des affects autant que celle des paysages. La présence de quarante-sept contributions congolaises atteste le dynamisme scriptural d’un pays où l’on recense plus de deux cents clubs de slam et de poésie urbaine.
Les partenaires institutionnels, dont l’Agence française de développement et l’Organisation internationale de la Francophonie, voient dans ce concours un levier de circulation des œuvres et des artistes. Pour les autorités congolaises, l’enjeu est double : favoriser l’employabilité des jeunes créateurs et positionner Brazzaville comme hub régional des industries culturelles. Les distinctions remportées par Babakila, ou avant lui par Henri Lopes et Alain Mabanckou sur d’autres scènes, nourrissent une diplomatie culturelle intangible mais influente.
Un écosystème littéraire congolais en mutation
Des maisons d’édition indépendantes, telles L’Harmattan-Congo ou Les Lettres Mouchetées, se structurent autour de résidences d’écriture soutenues par le Fonds de développement de l’art et de la culture (FDAC). L’accès au numérique – plus de quatre millions de connexions mobiles selon l’Autorité de régulation des postes et communications électroniques – élargit encore la diffusion des textes. Les scènes ouvertes de Makelekele et Poto-Poto, souvent relayées par des web-radios, agissent comme incubateurs où se croisent rappeurs, conteurs et journalistes.
Les pouvoirs publics, conscients de la contribution de la culture à la diversification économique, ont inscrit la filière livre dans la feuille de route 2022-2026 de la Stratégie nationale de développement. Des mesures incitatives (allégements fiscaux pour les librairies, programme « Un auteur, une école » piloté par le ministère de l’Enseignement primaire) cherchent à renforcer la chaîne de valeur de la création écrite. Dans ce contexte, le palmarès de Babakila fait figure de cas d’école : il illustre la manière dont un environnement favorable peut accélérer la trajectoire d’un talent émergent.
Perspectives pour la diplomatie culturelle congolaise
L’impact symbolique d’un prix international dépasse la sphère artistique pour interroger la place du Congo dans les réseaux de soft power. Les chiffres publiés par l’UNESCO montrent que les échanges culturels contribuent déjà pour 3,4 % au produit intérieur brut congolais, un ratio appelé à croître si les succès individuels sont convertis en coopérations institutionnelles durables.
Le ministère des Affaires étrangères mise sur l’élargissement des alliances francophones et lusophones afin de diversifier les marchés d’exportation des œuvres. Dans cette perspective, la voix polyphonique de Babakila devient celle d’un pays qui, tout en consolidant sa paix civile, aspire à projeter son imaginaire au-delà du fleuve Congo. « La littérature est une ambassade sans murs », déclarait récemment la diplomate Henriette Ebina lors du Forum culturel de l’Afrique centrale. La formule résume le pari d’un État soucieux de conjuguer influence et cohésion nationale.
À court terme, l’écrivain se dit prêt à transposer « Cœur salé » en spectacle musical, associant percussions traditionnelles et électro minimaliste. Les observateurs culturels y voient une opportunité d’attractivité supplémentaire pour les festivals organisés au bord de la Sangha ou sur les berges de l’Alima. En attendant, l’étoile 242 continue de scintiller, rappelant que les arts de la parole restent un vecteur puissant de narration collective et de rayonnement pour le Congo-Brazzaville.