Une ambition industrielle affirmée
Devant les stands du Salon des métiers du bois, la ministre Rosalie Matondo a rappelé que le potentiel forestier du Congo ne doit plus se limiter à l’exportation de troncs. L’objectif désormais affiché est de valoriser l’arbre dans son intégralité, jusqu’à la dernière copeau de sciure.
Ce virage découle de la stratégie de transformation locale adoptée en 2020 : porter à 100 % la première transformation et atteindre 30 % de seconde transformation d’ici 2025. En réduisant les volumes bruts expédiés, l’État veut accroître la valeur ajoutée créée sur le territoire.
Diversification économique en toile de fond
La ministre des Petites et moyennes entreprises, Jacqueline Lydia Mikolo, voit dans le bois un levier central pour élargir la base productive nationale. L’artisanat représente déjà 7 % du PIB non pétrolier, et sa montée en gamme pourrait absorber une partie du chômage urbain.
Le Salon accueille 136 exposants, signe que les entrepreneurs perçoivent l’opportunité. L’édition précédente n’en comptait que 89. Pour les organisateurs, cette progression montre que la filière concentre l’un des rares marchés capables de résister aux fluctuations du brut.
Jeunesse et femmes au cœur du dispositif
Rosalie Matondo insiste sur la « force créatrice de la jeunesse ». Les écoles techniques publiques ont ouvert 240 places supplémentaires en menuiserie et design éco-responsable, tandis que des ateliers financés par le Fonds national d’appui à l’employabilité féminine encadrent déjà 400 jeunes femmes.
La sculptrice Élodie Kossivi, 27 ans, confirme l’effet d’entraînement : « Il y a trois ans, je travaillais seule. Aujourd’hui, mon atelier emploie cinq apprenties. Grâce au programme zéro déchet, nous transformons les chutes en bijoux qui partent à Kinshasa et à Abidjan. »
Technologies vertes et valorisation des résidus
L’académie polytechnique de Pointe-Noire présente un prototype de cogénérateur alimenté par plaquettes de bois issu du débitage. L’électricité ainsi produite pourrait alimenter des scieries rurales, réduisant la dépendance au gasoil et limitant l’empreinte carbone du secteur.
Parallèlement, une start-up locale teste la production de panneaux isolants à base de fibres et résines naturelles. Cette solution, déjà utilisée dans les logements sociaux de Dolisie, pourrait remplacer les importations d’isolants minéraux tout en créant un débouché supplémentaire pour la sciure.
Financement et partenariats structurants
La Banque nationale de développement économique a débloqué une ligne de crédit de 15 milliards de francs CFA dédiée aux PME du bois. Les taux, inférieurs de deux points à la moyenne du marché, doivent soutenir l’achat de séchoirs, raboteuses numériques et presses à briquettes.
Côté international, l’Agence française de développement et la Banque africaine d’import-export ont signé des protocoles d’accord visant la modernisation des ateliers collectifs. Le gouvernement insiste cependant sur la nécessité de conserver la majorité du capital au sein des opérateurs nationaux pour pérenniser les emplois.
Un atout pour les engagements climatiques
Le Congo, qui abrite la seconde forêt tropicale du globe, s’est engagé lors de la COP26 à réduire ses émissions de 45 % à l’horizon 2030. Limiter le gaspillage de bois et favoriser l’économie circulaire participent à cet objectif tout en générant des revenus supplémentaires.
Selon le Centre national d’inventaire et d’aménagement des ressources forestières, le recyclage des résidus pourrait éviter l’émission annuelle de 120 000 tonnes de CO₂, soit l’équivalent des rejets d’une ville moyenne comme Owando.
Défis logistiques persistants
Les producteurs pointent toutefois la vétusté de certaines pistes forestières et l’insuffisance des capacités ferroviaires entre le Nord et le port de Pointe-Noire. Une étude conjointe ministère-Chemin de fer Congo Océan prévoit le doublement des convois d’ici deux ans.
En attendant, la création de parcs à bois régionaux, dotés de séchoirs solaires et d’unités mobiles de finition, doit limiter les coûts de transport. Plusieurs coopératives pilotes dans la Cuvette témoignent déjà d’un gain de marge de 12 %.
Regard des experts
Pour l’économiste Sylvain Mboundou, la clé réside dans la formation continue : « Sans techniciens capables de calibrer les machines à commande numérique, la promesse zéro déchet restera un slogan. » Il plaide pour un partenariat renforcé avec les instituts allemands de la mécanique du bois.
La sociologue Élise Ngatsé souligne, elle, la dimension culturelle : « Le bois est un symbole identitaire. Valoriser même les copeaux, c’est affirmer qu’aucune partie de notre patrimoine ne doit être jetée. Cette approche peut inspirer d’autres secteurs extractifs. »
Perspectives à moyen terme
Le ministère table sur la création de 12 000 emplois additionnels d’ici 2026, dont 40 % féminins. Les exportations de meubles devraient passer de 9 milliards à 25 milliards de francs CFA, si les unités de seconde transformation atteignent leur cadence nominale.
À plus long terme, l’ambition est d’intégrer la chaîne mondiale du design durable. La présence d’acheteurs italiens et sud-africains au Salon témoigne déjà d’un intérêt croissant pour des collections labellisées « Origine Congo ».
Une dynamique appelée à s’étendre
La filière bois apparaît ainsi comme l’un des pivots de la relance économique prônée par le gouvernement. En ajoutant la variable environnementale et l’inclusivité sociale, elle se situe aussi dans la trajectoire des Objectifs de développement durable 2030.
Si les obstacles logistiques et technologiques sont progressivement levés, le Congo pourrait devenir une référence africaine du zéro déchet forestier. L’arbre ne serait plus seulement une ressource, mais le socle d’un modèle industriel plus résilient et partagé.