Salon des métiers du bois : un miroir des enjeux
Sur les rives du fleuve Congo, le Salon des métiers du bois a réuni, le 11 août, une mosaïque d’artisans, de transformateurs et d’acheteurs. L’événement, très attendu, a servi de tribune pour exposer les aspirations et les inquiétudes d’un secteur en pleine mutation.
Patrick Hubert Monampassi, figure bien connue de l’ameublement brazzavillois, a ainsi rappelé que la raréfaction de grumes utilisables complique la programmation des ateliers. « Nous jonglons chaque semaine avec les prix et la disponibilité », critique-t-il, avant de saluer le dialogue naissant avec les exploitants forestiers.
Face à lui, Gisèle Milandou, sculptrice originaire du Pool, a livré un témoignage sans concession : la quête du bois de fer l’oblige souvent à parcourir plus de 300 kilomètres. Dans cette équation, le coût du transport dépasse parfois le coût de la matière première.
Une filière stratégique au cœur de l’économie
Le Congo se classe parmi les cinq premiers exportateurs africains de grumes, contribuant pour près de 6 % à son produit intérieur brut selon la Banque centrale. Les scieries industrielles tournées vers l’export obtiennent prioritairement les essences, laissant aux artisans la portion la plus aléatoire du flux.
Pourtant, la transformation locale de la ressource accroît significativement la valeur ajoutée. D’après l’Observatoire congolais de la forêt, chaque mètre cube travaillé sur place génère jusqu’à quatre emplois indirects dans la capitale, soutenant un tissu dense de petites et moyennes entreprises familiales.
L’enjeu dépasse donc la simple fourniture de planches : c’est toute une économie créative, basée sur le design, le tourisme et la culture, qui dépend de la fluidité d’accès au bois. Les pièces d’ameublement congolaises trouvent désormais preneur à Kinshasa, Lomé ou Abidjan.
Les réalités logistiques qui contrarient l’offre
Les entreprises forestières, interrogées lors du Salon, soulignent un autre paramètre déterminant : la remontée du prix du fret fluvial et routier causée par la hausse du carburant. « Transporter une bille d’Okoumé revient deux fois plus cher qu’en 2019 », signale un responsable logistique.
À cette contrainte s’ajoutent les aléas climatiques. Les fortes pluies enregistrées entre mai et juillet ont rendu impraticables certaines pistes secondaires, retardant le convoyage vers Brazzaville. Les stocks tampon, habituellement constitués avant la saison humide, ont été absorbés plus vite que prévu.
Sur le plan réglementaire, l’instauration progressive de la transformation locale obligatoire, en vigueur depuis 2022, a détourné une partie des volumes vers les zones industrielles périphériques de Pointe-Noire et d’Oyo. Les artisans, eux, restent cantonnés aux marchés du Plateau des 15 Ans ou de Makélékélé.
La crise ukrainienne, enfin, pèse indirectement : la demande européenne de contreplaqué africain s’est accrue, poussant les scieries à mobiliser leurs stocks pour honorer des contrats libellés en euros. Les rejets de seconde catégorie, prisés par les artisans, deviennent moins abondants.
L’État et les partenaires mobilisés
Le ministère de l’Économie forestière rappelle toutefois les mesures prises depuis deux ans pour sécuriser l’approvisionnement local. Un programme de dépôts relais, géré par l’Agence congolaise de valorisation du bois, doit être opérationnel « avant la fin 2024 », affirme un communiqué.
Parallèlement, la Banque postale du Congo a ouvert une ligne de crédit dédiée aux coopératives artisanales. L’objectif est de faciliter l’achat groupé de grumes et de machines. « Le coût d’une tronçonneuse professionnelle ne doit plus être un frein », insiste la directrice adjointe, Irène Ngouabi.
Les organismes de coopération, dont l’Organisation internationale des bois tropicaux, accompagnent la démarche via des programmes de formation en scierie mobile et en gestion durable des essences à croissance lente. Les bénéficiaires recevront des certificats reconnus par la chaîne d’approvisionnement internationale.
Vers des solutions durables et inclusives
Les artisans eux-mêmes s’organisent : plusieurs associations testent la replantation d’acajou, d’essence iroko et même de bambou géant autour de Kintélé. L’idée est d’installer, à moyen terme, une ceinture verte de production destinée exclusivement au marché de la menuiserie urbaine.
La numérisation vient compléter l’effort. Une plateforme pilote, baptisée ‘Tômbi’, met déjà en relation scieries, transporteurs et ateliers. Les notifications en temps réel permettent de réserver un lot de planches avant même son départ de la forêt, réduisant ainsi la spéculation.
Sur le terrain académique, l’université Marien Ngouabi a lancé un master professionnel consacré à l’ingénierie du bois. Les premiers diplômés, attendus en 2025, seront formés aux technologies de séchage solaire et aux procédés de collage respectueux de l’environnement, éléments clés de la compétitivité future.
À court terme, la solution passe par un dialogue renforcé. « Nous sommes prêts à signer des contrats d’approvisionnement fixe si les volumes sont garantis », confie Patrick Monampassi. Une position partagée par les exploitants, désireux de montrer que la filière peut servir l’économie nationale avant l’export.
En toile de fond, se joue aussi la transmission des savoir-faire. Les maîtres ébénistes de Poto-Poto alertent sur le vieillissement des effectifs. Ils souhaitent que les lycées techniques introduisent une option menuiserie dès la classe de seconde afin de pérenniser les techniques ancestrales.