Une nouvelle architecture fiscale bilatérale
En séance plénière, la Chambre haute du Parlement congolais a approuvé le projet de loi autorisant la ratification de la convention destinée à éliminer les situations de double imposition entre Brazzaville et Ankara. Ce texte, mûrement négocié par les administrations fiscales des deux pays, assoit des règles claires pour la répartition des droits d’imposition sur les revenus des personnes physiques, les bénéfices des sociétés, les dividendes, les intérêts ou encore les redevances. Dès l’échange des instruments de ratification, les deux États disposeront d’un cadre juridique de référence, réduisant ainsi l’incertitude qui, jusqu’alors, pouvait dissuader certains capitaux transfrontaliers.
La convention consacre également un dispositif d’échange d’informations et d’assistance au recouvrement conforme aux standards du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Pour les autorités congolaises, cet alignement illustre la volonté de respecter les exigences internationales tout en modernisant la gouvernance domestique des recettes publiques.
Sécuriser l’attractivité économique du Congo
Lors de la présentation du texte, le ministre de l’Économie, Ludovic Ngatsé, a rappelé que l’accord s’inscrit dans une politique plus vaste de sécurisation de l’environnement des affaires. Depuis 2021, le Congo multiplie les conventions fiscales – France, Chine, Rwanda, Émirats arabes unis, Ghana, Belgique – afin de construire un réseau protecteur pour les investisseurs, mais aussi d’élargir la base d’imposition en luttant contre l’évasion fiscale. Dans les milieux d’affaires de Pointe-Noire, où plusieurs groupes turcs ont déjà manifesté un intérêt pour la transformation du bois et la construction, l’annonce a été accueillie comme « un signal de sérieux budgétaire », selon un représentant de la Chambre de commerce et d’industrie locale.
Les incitations fiscales n’épuisent toutefois pas la question de l’attractivité. Le texte adopté prévoit une clause de non-discrimination qui oblige chaque partie à traiter les ressortissants et les entreprises de l’autre partie de manière équitable par rapport à ses propres nationaux. Ce principe, souvent sous-estimé, contribue à réduire le risque de surcoûts administratifs et renforce la prévisibilité réglementaire, deux facteurs décisifs dans la notation des agences de risques.
Un allié pour le Plan national de développement 2022-2026
Le ministre délégué à la Coopération internationale, Denis Christel Sassou Nguesso, a pour sa part souligné la dimension stratégique du texte au regard des besoins de financement du Plan national de développement 2022-2026, estimés à plus de 6 500 milliards de francs CFA. L’accord avec la Turquie, puissance commerciale active sur les marchés émergents d’Afrique subsaharienne, est perçu comme un instrument susceptible d’attirer les partenaires publics et privés turcs vers les chantiers prioritaires du plan – infrastructures routières, énergie hydroélectrique et agro-industrie.
La diplomatie économique congolaise mise sur une complémentarité : d’un côté la Turquie recherche des débouchés extérieurs pour ses entreprises de BTP, d’ingénierie énergétique ou encore de logistique ; de l’autre, le Congo ambitionne de transformer son économie et d’accroître la valeur ajoutée locale. Comme le confie un analyste basé à Istanbul, « la sécurité fiscale est devenue un préalable, au même titre que la stabilité politique, pour engager des partenariats à long terme ».
Des retombées concrètes à objectiver
Interpellé par plusieurs sénateurs sur les bénéfices tangibles de conventions similaires passées, le gouvernement a reconnu qu’un dispositif d’évaluation ex-post reste à formaliser. Les premiers indicateurs disponibles montrent toutefois une progression de 18 % des investissements directs étrangers au premier semestre 2023, dont une part attribuable à des opérateurs turcs dans les télécommunications et la construction modulaire. De même, la Direction générale des impôts observe une hausse des déclarations fiscales transfrontalières, signe d’une meilleure compréhension des règles par les entreprises.
Les milieux académiques appellent néanmoins à la prudence : la convention ne saurait, à elle seule, compenser les coûts logistiques élevés ou la densité encore limitée du réseau bancaire. Mais en conjuguant stabilité juridique et réformes structurelles – digitalisation du guichet unique, simplification du code des investissements – le pays se positionne dans un espace de concurrence régionale exacerbé, où la fiscalité devient un facteur discriminant.
Vers un maillage conventionnel plus complet
Avec l’accord congolais-turc, Brazzaville porte à sept le nombre de conventions fiscales bilatérales ratifiées. Le gouvernement entend poursuivre cette trajectoire afin d’aboutir, à moyen terme, à un maillage conventionnel couvrant la quasi-totalité des principaux investisseurs potentiels. Cette stratégie s’inscrit dans le sillage de la Zone de libre-échange continentale africaine, dont l’efficacité dépendra aussi de la capacité des États à clarifier les interactions entre les régimes fiscaux nationaux et les engagements communautaires.
Dans l’intervalle, l’administration fiscale congolaise doit renforcer ses capacités techniques pour mettre en œuvre les engagements pris, notamment en matière d’échange automatique de renseignements. Les partenaires turcs se sont déclarés disponibles pour un programme de formation des cadres et d’appui à la digitalisation des services fiscaux, illustrant ainsi le caractère mutuellement bénéfique de la convention.
Au-delà des chiffres et des tableaux comparatifs, l’adoption de ce texte traduit la maturation de la doctrine économique congolaise : garantir la prévisibilité, cultiver la confiance et inscrire l’action publique dans une perspective de long terme. Autant d’éléments qui, ensemble, façonnent les conditions d’un développement inclusif et durable dans la République du Congo.