Cap sur une capitale à visage renouvelé
À l’orée des célébrations de l’Indépendance, Brazzaville se redécouvre. L’opération spéciale d’assainissement lancée par les autorités transforme trottoirs, artères et marchés, révélant en filigrane les enjeux d’une gestion durable des déchets dans une métropole en constante expansion.
Le chantier n’est pas anodin : plus de 1,8 million d’habitants produisent quotidiennement des tonnes de détritus qui, mal gérés, fragilisent les services urbains, la santé publique et l’image même de la capitale congolaise auprès des visiteurs nationaux ou étrangers.
Premiers retours de terrain rassurants
En sillonnant la corniche sud jusqu’au pont du Djoué, le ministre de l’Assainissement urbain, Juste Désiré Mondélé, a décerné la mention « assez bien ». Ce jugement synthétise plusieurs semaines d’efforts coordonnés entre la mairie centrale, les arrondissements et les services techniques.
Les avenues Denis Sassou Nguesso, Alfred Raoul et de l’OUA, longtemps saturées de marchands ambulants et de dépôts sauvages, offrent désormais une visibilité accrue et une circulation piétonne plus fluide, selon les constatations sur place des agents municipaux déployés pour l’inspection.
La note n’est pas encore « excellente », reconnaît le ministre, mais elle valide une progression mesurable : près de 60 % des points noirs identifiés en juin ont été traités, avec l’évacuation de 4 000 m³ de déchets et la libération de quinze kilomètres de trottoirs.
La vigilance sanitaire comme moteur
Derrière l’esthétique urbaine se cache une priorité sanitaire. Les épidémiologistes rappellent que les eaux stagnantes et les amas d’ordures constituent des réservoirs de vibrions cholériques. Le dernier épisode de 2018, ayant touché plusieurs quartiers périphériques, reste gravé dans la mémoire collective.
« L’hygiène constitue la première barrière contre la maladie », souligne le docteur Henri Makosso, infectiologue au CHU de Brazzaville. Selon lui, la réduction des dépôts illégaux peut diminuer de 30 % les risques de flambées diarrhéiques pendant la saison des pluies.
La campagne d’assainissement intègre ainsi la pulvérisation d’insecticides dans les caniveaux dégorgés et la sensibilisation aux gestes simples, comme le tri des ordures domestiques ou la fermeture des sacs poubelles, afin de limiter la prolifération des moustiques et des rongeurs.
Habitudes urbaines et nouvelle citoyenneté
Au-delà de la logistique, le ministère mise sur l’évolution des pratiques quotidiennes. Jeter un sachet plastique par la fenêtre d’un taxi ou installer spontanément une table de vente sur la chaussée sont des gestes banals qui, cumulés, façonnent le visage de la ville.
Les comités de quartiers, appuyés par des ONG locales, ont donc lancé des brigades vertes chargées de rappeler la réglementation et d’orienter les habitants vers les bennes mobiles. Des séances de porte-à-porte encouragent également le tri sélectif, encore embryonnaire dans la capitale.
Le sociologue Patrice Nzolani voit dans cette mobilisation « un levier de cohésion sociale ». Selon son enquête menée à Moungali, 64 % des riverains se disent prêts à consacrer une heure par semaine au nettoyage collectif si des kits basiques leur sont fournis.
Coordination institutionnelle et innovations
La mairie centrale s’appuie sur une plateforme numérique de géolocalisation des dépôts clandestins. Développée par de jeunes ingénieurs congolais, l’application « Ntoto » transmet en temps réel les alertes aux services de collecte, limitant les trajets inutiles et optimisant l’utilisation du carburant.
Parallèlement, l’Agence congolaise d’électrification rurale et d’éclairage public teste des lampadaires solaires autour des marchés remis à neuf. L’idée est double : sécuriser les lieux la nuit et encourager les commerçants à préserver l’espace, sachant que l’éclairage met en valeur leur marchandise.
Le financement repose pour l’heure sur un partenariat public-privé qui mobilise entreprises de BTP, opérateurs de téléphonie et sociétés de boisson, toutes concernées par l’image environnementale de leurs marques. Cette diversité de bailleurs réduit la pression sur le budget municipal.
Objectif excellence et durabilité
Fixée à l’horizon 2025, la mention « excellente » suppose une collecte quotidienne de 90 % des déchets produits, contre environ 55 % aujourd’hui. Pour y parvenir, la municipalité envisage de moderniser la décharge de Mindouli et de créer deux stations de tri.
Les experts en économie circulaire insistent sur la valorisation de la fraction organique, qui représente plus de la moitié du volume collecté. Compostage, production de biogaz et culture de légumes sur substrats recyclés pourraient générer des emplois locaux et réduire les importations alimentaires.
L’autre défi reste comportemental. « Sans appropriation citoyenne, la logistique la plus performante finit par échouer », avertit Mireille Nganga, urbaniste. Elle plaide pour l’introduction de séances d’éducation environnementale dès l’école primaire afin de naturaliser les réflexes de tri et de propreté.
Tandis que les célébrations se sont achevées, les services municipaux poursuivent les tournées de contrôle. La régularité de ces vérifications, combinée à l’implication du secteur privé et au volontariat citoyen, devrait permettre d’inscrire durablement Brazzaville sur la carte des capitales africaines propres et attractives.
À plus long terme, les décideurs évoquent la perspective d’une taxe incitative sur les emballages non recyclables, inspirée de modèles appliqués à Kigali ou à Bamako. Les recettes serviraient à financer la recherche locale sur des alternatives biodégradables adaptées au climat équatorial.