Lumières intermittentes et réalités urbaines
À Brazzaville, l’éclairage public oscille entre fulgurances éclatantes et poches d’ombre prolongées. Les délestages, déjà anciens, se sont multipliés ces derniers mois et rythment désormais le quotidien, du Plateau jusqu’aux abords de Talangaï.
La capitale, alimentée par la centrale du barrage de Moukoukoulou et des groupes thermiques, doit composer avec une demande urbaine en forte croissance, dopée par l’essor du numérique, de la climatisation et de petites chaînes de froid commerciales.
Résultat, les cycles de délestage s’étirent parfois au-delà de douze heures, brouillant les repères temporels des ménages qui guettent la moindre lueur pour recharger téléphones ou mettre un repas au frais.
Dans l’imaginaire collectif, l’électricité symbolise la modernité urbaine. Dès qu’elle disparaît, l’espace public se redessine, partagé entre générateurs pétaradants des commerces et feux de bois improvisés dans les concessions.
L’ambiance, parfois lunaire, traduit autant une résilience populaire qu’une frustration diffuse, alimentée par la diffusion virale de vidéos d’ampoules vacillantes sur les réseaux sociaux.
Impacts socio-économiques des délestages
Les microentreprises du secteur informel, pilier de l’emploi urbain, mesurent la panne en pertes sonores : un congélateur silencieux signifie une journée de recettes évaporées, raconte Annie Ngatsé, vendeuse de glaces à Mfilou.
Le Groupement interprofessionnel du Congo évalue à trois pour cent du chiffre d’affaires annuel les pertes liées à l’intermittence énergétique, un taux qui pèse sur la compétitivité et freine l’industrialisation voulue par le Plan national de développement.
Dans les foyers à bas revenus, le budget charbon grimpe aussitôt, substituant la cuisson électrique par des braises plus coûteuses et moins écologiques, notent les économistes de l’université Marien-Ngouabi.
Le secteur de la santé n’est pas épargné : sans groupe électrogène, vaccins et poches de sang risquent la dégradation. Le docteur Léon Ondongo rappelle que chaque heure sans froid sanitaire représente un facteur de risque supplémentaire.
Pour les ménages connectés, l’absence de courant coupe les apprentissages en ligne et complique les devoirs scolaires, réactivant des inégalités numériques déjà marquées entre quartiers centraux et périphéries.
Enjeux techniques et infrastructures
Selon la Société nationale d’électricité, la demande sur Brazzaville dépasse désormais 240 mégawatts aux heures de pointe, alors que la capacité disponible varie entre 150 et 180 mégawatts en raison de maintenances programmées et d’incidents imprévus.
Les lignes d’évacuation, certaines installées dans les années 1980, affichent un taux d’usure élevé et subissent des actes de vandalisme. Résultat : une énergie produite qui n’atteint pas toujours le consommateur final.
Le gouvernement mise sur la mise en service progressive de la centrale à gaz de Djeno et sur l’interconnexion régionale avec le barrage Inga pour stabiliser le réseau national, fait valoir le ministère de l’Énergie.
Un vaste programme de comptage intelligent est également en phase pilote à Bacongo. Objectif officiel : limiter les pertes non techniques, améliorer la facturation et fournir des données affinées pour planifier les charges.
Les ingénieurs soulignent toutefois que la résilience d’un réseau tient autant à l’entretien régulier qu’à la diversification des sources, solaire urbain et biomasse pouvant compléter l’hydroélectricité soumise aux aléas climatiques.
Stratégies officielles et initiatives privées
Face aux demandes citoyennes, la municipalité encourage des comités de quartier à signaler en temps réel les coupures via une plateforme numérique baptisée Lumière+, inspirée du modèle rwandais.
Des start-up locales, telles que Kivu Solar, proposent des kits photovoltaïques payables par microcrédit, répondant à la recherche d’autonomie énergétique des ménages, tout en désengorgeant partiellement le réseau public.
Le secteur privé institutionnel investit également ; la Zone industrielle de Maloukou s’est dotée d’une centrale hybride diesel-solaire qui garantit déjà seize heures de fonctionnement continu à ses unités de transformation.
Dans un entretien, le directeur de la SNDE, Florent Bantsimba, assure que la planification des délestages est communiquée aux autorités sanitaires et que la priorité absolue reste la desserte des centres hospitaliers et stations de pompage d’eau.
Les économistes saluent l’annonce d’un fonds de stabilisation tarifaire qui devrait absorber les hausses du prix du baril et protéger le pouvoir d’achat, à condition qu’il soit abondé de façon pérenne.
Perspectives collectives à moyen terme
L’accès fiable à l’énergie figure parmi les ODD et demeure une composante clé de l’agenda continental 2063. La République du Congo y voit un levier pour consolider la classe moyenne et attirer les investisseurs de la sous-région.
En 2024, le lancement annoncé du Projet d’interconnexion Nord permettra de relier Brazzaville à Ouesso, sécurisant l’alimentation de trente localités et favorisant une circulation plus fluide des biens et des personnes.
Les partenaires techniques soulignent néanmoins la nécessité de renforcer la gouvernance, du recouvrement des factures à la surveillance communautaire du réseau, afin que chaque kilowatt produit soit effectivement distribué.
Au-delà des infrastructures, la sensibilisation des usagers aux économies d’énergie gagne du terrain : radios communautaires, challenges scolaires et influenceurs se mobilisent pour promouvoir les ampoules basse consommation et couper les appareils en veille.
Ainsi, malgré les délestages actuels, se dessine une trajectoire mêlant modernisation technique, initiatives citoyennes et pilotage institutionnel. La lumière reste intermittente, mais l’élan pour la rendre continue éclaire déjà les débats de la cité capitale.